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encore, pour en conserver les illusions et l’enivrement, il eût fallu l’incessante présence de l’être chéri qui l’avait fait naître. Et David Stuart n’était pas là. Loin de lui, elle ne voyait plus, dans la sincérité de son ame, comment, après avoir violé le serment qui la liait à sir Stephen « jusqu’à ce qu’ils fussent séparés par la mort, » le même serment, répété au pied du même autel, lui donnerait pour la vie un autre époux. Et jusque dans cette promesse si fidèlement tenue, que son tuteur lui avait faite, de ne plus vivre auprès d’elle avant qu’elle eût cessé d’appartenir à un autre, elle voyait clairement qu’une idée de honte et de dégradation était attachée, même pour lui, à l’amour que lady Penrhyn pouvait ressentir pour tout autre homme que son mari.

Quand ces scrupules, tenant pour la plupart à son éducation religieuse, se dressaient entre elle et son amant, l’image de Clephane mourant, sa sublime et naïve prière s’y mêlaient presque toujours. Notre Père, qui êtes aux cieux, répétait-elle machinalement, et elle songeait à ses pauvres enfans, assis là-haut parmi les saints anges, à la droite de ce Père tout-puissant. — Priez, mère, lui disaient leurs voix argentines, résonnant au fond de son cœur malade.

Elle priait un soir, agenouillée et la tête dans ses mains. On frappa deux fois à la porte de sa maison. À ce bruit, tout son sang reflua vers son cœur. Fallait-il croire ?… Était-ce ?… Aurait-il oublié sa parole ?… Allait-elle le revoir, lui ?… Et, soudain relevée, n’osant avancer d’un seul pas, elle écoutait sur les degrés retentir les pas d’un homme… David Stuart, sans nul doute !… lui seul pouvait venir à cette heure !… La porte alors s’ouvrit, brusquement poussée…

Ce n’était pas David Stuart : c’était Godfrey Marsden, le rude marin.


VII

Tout à l’heure encore Eleanor demandait au ciel d’être ramenée à Dieu, « même par la voie semée d’épines. » Elle comprit, dès les premiers mots prononcés par son frère ; que son vœu allait être exaucé.

Il ne venait pas consoler, mais censurer. Du droit que s’arroge la vertu sur le vice, armé d’inflexibles principes, fort de sa conscience irréprochable, cet impeccable et rigoureux conseiller s’était promis de ne pas tolérer que la fille de sa mère donnât au monde le scandaleux exemple d’un divorce légal.

Seul il avait deviné, — dès long-temps deviné, — qu’Eleanor aimait David Stuart. Ceci lui donnait sur la conscience déjà ébranlée de la pauvre jeune femme une autorité dont il eût abusé volontiers, et contre laquelle Eleanor se fût certainement révoltée, si son parti n’eût été pris avant cette pénible entrevue. Elle ne s’en laissa détourner ni par