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Même en ce moment, il se faisait juge de la pauvre morte. Rigide, implacable vertu, quels privilèges t’arroges-tu donc ?


VIII

Tabitha, comtesse de Peebles, donne tous les hivers de fort belles soirées, et très courues. On y voit des lions, des étoiles de toute sorte, surtout des lions et des étoiles littéraires. Un de ses habitués, poète d’un certain renom, remis sur quelque trace perdue par l’odeur d’un beau géranium, — et peut-être aussi par l’ennui de ne voir autour de lui que d’assez tristes visages, — ne s’avisa-t-il pas de lui demander, l’autre soir, ce qu’était devenue lady Penrhyn !…

Tib, à cette question indiscrète, se crut tenue de rougir et de baisser les yeux. Comment pouvait-on supposer qu’elle eût conservé le moindre rapport avec une femme séparée de son mari ? Mais ne rougit pas qui veut, et Tib ne put qu’affecter un air distrait.

— Je la crois morte depuis long-temps, répondit-elle… mais je ne l’ai pas revue une seule fois après son départ de Penrhyn-Castle.

Puis, devinant que sa pruderie s’adressait mal, et jugeant, à l’air mécontent de son interlocuteur, qu’il gardait un bon souvenir à Eleanor, elle craignit d’effaroucher mal à propos cet ornement obligé de ses réunions.

— Venez lundi, reprit-elle ; je vous ferai dîner avec quelqu’un qui vous en dira plus long sur ce sujet.

Le poète s’inclina, et revint très ponctuellement au jour indiqué. Dans l’intervalle, il avait envoyé à Tib une sorte d’élégie didactique intitulée : Printemps. Par une allusion délicate à cet envoi, Tib lui fit servir des pois verts de première primeur, et le poète ne songeait plus le moins du monde à Eleanor, quand, à l’issue du dîner, la maîtresse de la maison lui présenta un gentleman écossais du nom de Malcolm : c’était le même que nous avons vu porter le dernier coup à lady Penrhyn en lui annonçant si tranquillement « une bonne nouvelle ». Il était volontiers bavard, et, sauf quelques lacunes faciles à combler pour un poète, il mit son interlocuteur au courant de tous les détails qu’on a lus. Une fois sur la voie, notre faiseur de vers voulut en savoir plus long. Voici, en résumé, ce qu’il apprit :

Sir Stephen, devenu veuf, a épousé Bridget Owen. La loi écossaise, indulgente à ses heures, leur donnait ce moyen de légitimer leurs enfans adultérins, dont l’aîné se trouve maintenant héritier présomptif des domaines paternels, — y compris le petit cimetière où dorment côte à côte Clephane et Frédérick.

Lady Macfarren, furieuse de cette mésalliance, est à couteaux tirés