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puissance ? Si nous avions un juste sentiment de nous-mêmes, nous revendiquerions le siècle de saint Louis aussi bien que le siècle de Louis XIV. Le règne de saint Louis marque en effet le point culminant, le temps de halte et de repos de la monarchie féodale en Europe, comme le siècle de Louis XIV celui de la monarchie absolue. Ce fut le moment où le régime complexe, connu sous le nom de féodalité, atteignit le point extrême de régularité et de justice qu’il comportait. Saint Louis fut le roi féodal par excellence, et, à ce titre, il a exercé sur l’Europe de son temps la même influence prépondérante que quatre siècles après son plus superbe héritier. Consulté par tous les souverains, arbitre des querelles du sacerdoce et de l’empire, saint Louis avait fait dès-lors de la France la première des puissances chrétiennes. Un scrupule de conscience lui interdisait la conquête : un de ses frères s’en chargea, et la moitié de l’Italie fut soumise, sous ses yeux, par des Français.

Tel est le fait mémorable que M. de Saint-Priest nous a raconté pour la première fois sous son véritable jour. Avant la lecture de l’Histoire de la Conquête de Naples, nous n’avions jamais bien compris ni la grandeur de saint Louis, ni celle de la France du XIIIe siècle. M. de Saint-Priest nous a fait connaître qu’il y eut alors pour notre pays un véritable âge de gloire, pour lequel la postérité, surtout en France, était ingrate. Saint Louis est la grande figure de son livre : il tient, pour ainsi dire, le milieu du tableau ; mais que de personnages curieux à ses côtés, tracés de main de maître ! Charles d’Anjou, le vrai type de son siècle, par sa foi simple et sa main rude, Frédéric II et Mainfroi qui devançaient les âges suivans par les raffinemens de l’esprit et de la débauche, la pâle et tendre image de Conradin, tous ces portraits sont vivans, et d’un style à la fois sobre et vif. À peine çà et là remarque-t-on peut-être quelques traits d’esprit qu’il eût mieux valu dire qu’écrire. Parfois le naturel lui-même n’est pas dépourvu d’un peu d’art, ni la facilité de quelque recherche. En général, la marche du récit est grave sans cesser d’être animée, et conduit le lecteur au bout de quatre volumes, sans le fatiguer, ni par des lenteurs, ni par ces emportemens lyriques auxquels le goût des historiens modernes nous a trop accoutumés.

L’Histoire de la Conquête de Naples a une qualité qu’on mettait autrefois au premier rang parmi celles de l’historien, dans un temps où, du reste, il faut le dire, on la vantait sans la pratiquer. C’est une histoire impartiale, et qui n’est pourtant pas indifférente. L’auteur n’est pas sans préférence pour le bien ni sans indignation pour le mal, mais il est sans parti pris. Son histoire n’est ni un pamphlet ni un plaidoyer ; il n’est ni l’avocat des papes ni celui des empereurs. On a l’air de plaisanter quand on dit que ce fut un mérite de ne point porter de passion