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l’histoire du XVIIIe siècle était l’objet de ses prédilections, et il avait résolu d’en tracer, sous une forme quelconque, un tableau fidèle. Il avait tenté cette entreprise, non sans quelque hésitation, à plusieurs reprises et de plusieurs côtés. Tantôt il avait voulu faire entrer l’histoire des lettres dans un cadre politique, tantôt projeter seulement les ombres sérieuses de la politique sur une œuvre toute littéraire. Il avait recueilli de nombreux matériaux sur le ministère du duc de Choiseul ; puis enfin, à mesure que sa pensée prenait plus de largeur et son talent plus de hardiesse, il avait moins redouté d’aborder de front ce Protée à mille formes et de le saisir dans sa moelle et dans son essence. Quand la mort l’a surpris, il travaillait à une vie de Voltaire.

Ce travail devait sembler périlleux : il lui fut utile. Il aimait le XVIIIe siècle par un dangereux attrait. Une plus mûre réflexion lui apprit à le juger. Sous les graces apparentes, il découvrit bientôt les plaies cachées de la grande école du XVIIIe siècle : la légèreté sous l’élégance, la sensualité égoïste sous la sensibilité déclamatoire, l’ambition de dominer sous l’amour de l’indépendance. Il avait redouté longtemps l’intolérance religieuse ; en pénétrant dans les débats intérieurs de la secte philosophique, il put se convaincre que l’intolérance est l’écueil de toutes les opinions ardentes, mais que la religion seule a le tempérament de la charité.

Ce jugement équitable se fit voir, dès son premier essai sur l’expulsion des jésuites, qui parut pourtant dans un moment de controverse passionnée, en 1844[1]. Il avait plu à la société politique du moment, comme si elle n’avait pas assez à faire avec les problèmes sociaux qui grondaient sous le sol, de se faire une grande difficulté arbitraire au sujet de la présence ignorée et paisible de l’ordre des jésuites en France. Les uns exhumaient d’anciennes lois qu’ils n’avaient pas l’intention d’appliquer ; les autres protestaient ardemment contre des violences qui, au fond, ne leur faisaient que médiocrement peur : tous deux s’adressaient à grands cris au gouvernement, responsable de tout, comme c’est l’ordinaire, et qui ne savait auquel entendre. Au milieu de ce conflit de colères factices, mais bruyantes, quand M. de Saint-Priest se présenta pour donner des détails curieux sur l’expulsion des jésuites au siècle dernier, chacun se précipita avec avidité pour lire un pamphlet. On trouva un récit grave et piquant, plein de révélations curieuses, mais exempt de toutes récriminations amères. On apprit que l’accusation des jésuites devant le parlement avait été dictée par des motifs puérils, que la sentence avait été inique, l’exécution brutale, mais la défense et l’attitude de l’ordre assez médiocres, et fort dégénérées de ses glorieux fondateurs. Il n’y eut rien de décidé sur la

  1. Dans la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1844.