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Ces formes diverses du crédit foncier sont déterminées par l’état économique de la propriété et par les lois qui la régissent, par les fluctuations de capitaux, par les tendances de la spéculation. Quelle combinaison est préférable pour la France ? Il faudra résumer bien des faits et soulever bien des problèmes pour répondre à cette question.


II. – LA PROPRIETE FONCIERE EN FRANCE.

Que n’a-t-on pas dit sur les souffrances de la propriété dans notre pays ? Le chiffre énorme de la dette hypothécaire, l’impossibilité de l’amortir, la faiblesse et l’incertitude des revenus, comparés au capital des immeubles qu’ils représentent, le défaut d’un crédit normal, l’usure dévorant ceux qui n’ont pas d’hypothèque à fournir, la rapide transmission des patrimoines glissant de mains en mains, au lieu de rester dans les familles, ce sont là des faits passés à l’état de lieux-communs et malheureusement vérifiés par l’expérience de chaque jour.

La France est assurément, entre tous les peuples civilisés, celui dont la dette immobilière est la plus forte. Le chiffre total des seules créances pour lesquelles inscription a été prise sur des immeubles était :


En 1820, de 8,864 millions
En 1832, il était de 11,233 millions
En 1840, il atteignit 12,544 millions

La progression étant de 100 à 120 millions par année, le montant actuel des hypothèques doit flotter entre 13 et demi et 14 milliards ; mais toutes les inscriptions ne représentent pas des créances effectives : il y en a beaucoup qui se rapportent à des dettes éteintes dont la radiation n’a pas été opérée ; il y en a d’autres qui font double emploi, ayant été prises en même temps par les vendeurs d’immeubles et par ceux qui font des avances d’argent à l’acquéreur pour se libérer. On peut défalquer encore un certain nombre d’hypothèques judiciaires prises à tout hasard sur des biens déjà grevés, certaines hypothèques éventuelles prises par l’état à titre de cautionnemens, etc. Quelque importance qu’on attache à ces inscriptions nulles, nous ne croyons pas qu’on puisse en porter le montant à plus de 3 à 4 milliards, de sorte que, toutes radiations faites, on peut accepter le chiffre de 10 milliards sans crainte d’exagération[1]. C’est presque le double de la dette de l’état en capital. On estime que, dans cette somme, les emprunts directs font nombre pour un tiers, et que les deux autres tiers représentent

  1. M. Chegaray se livre, dans son rapport, à une série de conjectures pour abaisser à 8 milliards le chiffre de la dette hypothécaire. Il faudrait entrer dans de longs détails pour réfuter ses calculs. Les nôtres sont conformes aux évaluations officielles émises à diverses époques, et nous ne les avons pas adoptées sans examen.