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À produit égal, il n’y a plus de raisons pour ne pas adopter ce dernier genre de placement. Supposons donc les créanciers dans la nécessité d’employer leurs 10 millions en achats des nouveaux titres à 4 et demi ; avec le produit de cette première vente, la société pourra agir de même façon à l’égard d’une seconde série de créanciers. Bref, en épiant les instans où les titres jetés sur la place commencent à s’épuiser pour risquer successivement de nouvelles émissions, on établira le roulement tendant à convertir la dette hypothécaire.

On le voit par ces explications : la réforme effectuée n’est point de celles qui saisissent les esprits par la soudaineté et la splendeur des résultats. Il s’agit simplement d’une opération à long terme, et dont les effets, avouons-le, seront à peine sensibles au début, en raison de l’immensité des besoins. Tous les propriétaires obérés sont disposés à alléger leurs dettes. Si on avait l’imprudence d’accorder des lettres de gage au dixième d’entre eux seulement, ce serait 1 milliard de valeurs nouvelles jetées sur la place, et l’affaire, écrasée sous un tel poids dès le premier jour, ne se relèverait jamais. Il faudra donc limiter les émissions dans la mesure des ressources, qui, pendant long-temps encore, seront restreintes. Bien peu de personnes, à l’origine, profiteront directement de l’innovation ; mais peu à peu la classe entière des propriétaires en ressentira les effets indirects. Si, d’une part, les premières lettres de gage, habilement soutenues, se classent parmi les bonnes valeurs de bourse, et si, d’autre part, une publicité variée et incessante vulgarise dans les campagnes le mécanisme du crédit foncier, les prêteurs, menacés d’une concurrence, seront moins exigeans, les emprunteurs courberont moins la tête : l’intérêt de l’argent tendra à prendre, dans toutes les transactions, le niveau du crédit foncier. Le nouveau mode d’amortissement par petites annuités rendra possibles les améliorations agricoles, qui sont des placemens à longs termes, tels que les amendemens de terre, les irrigations, le drainage, les plantations. Un autre effet des banques foncières, dont les statuts sont inflexibles, sera de propager parmi les propriétaires campagnards la sévérité des mœurs industrielles. En s’accoutumant au respect de l’échéance, ils gagneront les sommes énormes que leur enlèvent aujourd’hui les bordereaux de notaires et le papier timbré.

Deux mots suffisent donc pour résumer ce travail. Le crédit foncier a été expérimenté en Allemagne avec avantage. Notre pays est celui qui a le plus grand besoin d’une pareille institution. Dans les termes où l’opération va s’engager, elle peut être très utile, si elle réussit, comme nous l’espérons ; elle sera sans danger, si elle échoue. Par le temps qui court, y a-t-il beaucoup d’innovations dont on puisse faire un pareil éloge ?


ANDRÉ COCHUT.