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également la ruine de Laon et celle de la ville des Veromandues, Augusta, aujourd’hui Saint-Quentin. Ces actes, comme de raison, nous entretiennent plus longuement des malheurs des évêques et de leur clergé que de ceux des habitans laïques des villes saccagées, préférence qui ne tient pas seulement à la nature des documens dont nous parlons, mais qui a sa cause profonde dans les faits mêmes de l’histoire. Au milieu de la désorganisation politique produite par tant de calamités, les magistrats civils et militaires faisaient souvent défaut : les curiales désertaient pour ne point subir les avanies du fisc ou les réquisitions de l’ennemi ; mais l’évêque demeurait, enchaîné à son troupeau par un lien spirituel. C’était donc lui que les Barbares trouvaient toujours en face d’eux, comme le seul fonctionnaire qui représentât la hiérarchie romaine ; c’était lui seulement que les citoyens pouvaient invoquer comme leur conseil et leur guide. Des lois nées des besoins du temps conféraient à l’évêque des attributions civiles qui en firent peu à peu un véritable magistrat et le premier de la cité ; mais la force des choses lui en conférait bien d’autres : elle faisait de lui, suivant les cas, un duumvir, un préfet, un intendant des finances, un général d’armée. Cet état de choses, mal compris par les siècles suivans, donna lieu à cette multitude de martyrs que mentionnent les légendaires dans les guerres barbares du Ve siècle, tout évêque mis à mort étant naturellement à leurs yeux mis à mort pour sa foi. En ce qui concerne la guerre des Huns, nous admettrons comme certain que les profanations s’y mêlèrent souvent aux massacres, et la dérision du nom de Dieu au mépris de l’humanité : nous pouvons supposer même que certains peuples germains vassaux des Huns, tels que les Ruges, les Seyres, les Turcilinges, qui arrivaient avec les passions féroces de l’odinisme, déployaient dans l’occasion contre les prêtres chrétiens une haine fanatique ; mais Attila n’avait point des instincts persécuteurs, et sa guerre à la société romaine ne fut pas marquée au coin d’une guerre au christianisme. Tchinghiz-Khan et Timour en agissaient ainsi, et le premier recommandait expressément à ses enfans de ne se point mêler de la croyance religieuse des peuples vaincus. On aperçoit déjà cette politique des conquérans mongols dans la conduite d’Attila.

Cependant la Gaule entière, mais surtout les provinces belgiques, étaient dans l’épouvante. Tout fuyait ou se disposait à fuir devant cette tempête de nations que précédait l’incendie et que suivait la famine. Chacun se hâtait de mettre ses provisions, son or, ses meubles à l’abri ; les habitans des petites villes couraient se renfermer dans les grandes sans y trouver plus de sécurité ; les habitans de la plaine émigraient vers la montagne ; les bois se peuplaient de paysans qui s’y disputaient les tanières des bêtes fauves ; les riverains de la mer et des fleuves,