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fallut un ordre de son évêque pour qu’elle y joignît du poisson et du lait ; elle tombait fréquemment dans des extases mêlées de visions. Trois jours durant, on la crut morte, et on allait l’ensevelir, lorsqu’elle rouvrit les yeux et raconta avec des circonstances merveilleuses « comment elle avait été ravie en esprit dans le repos des justes. » Les miracles suivirent les extases, et bientôt on ne parla plus que de la vierge de Nanterre et des prodiges que Dieu opérait par ses mains : paralytiques guéris, aveugles rendus à la lumière, démons mis en fuite ; elle connaissait l’avenir, lisait dans les plus secrètes pensées des hommes et commandait aux élémens ; l’orage, assurait-on, grondait ou se taisait à sa voix. Sa réputation de sainte fut dès-lors bien établie. Cet état de sainteté, manifesté au dehors par le don de prophétie uni au don des miracles, valait à celui qui le possédait une renommée dont le bruit parcourait bientôt toute la chrétienté. Son nom circulait de bouche en bouche ; on colportait le récit de ses actions et de ses discours, de province à province, d’Occident en Orient, des églises romaines aux églises barbares, et ses biographies, écrites avec enthousiasme, étaient lues partout avec avidité. C’est ce qui arrivait à Geneviève. La simple fille dont l’ardente charité s’exerçait dans une petite île de la Seine ne se doutait guère qu’elle était un sujet inépuisable de curiosité jusqu’au fond de la Syrie. Le stylite Siméon, qui passa quarante ans sur une colonne auprès d’Antioche, ne manquait jamais de demander aux visiteurs qui lui venaient d’Occident ce que faisait la prophétesse des Gaules, Genovefa. Mais le mot si vrai de l’Évangile s’accomplissait sur cette prophétesse, à laquelle on croyait au dehors, et qui ne trouvait dans son pays qu’incrédulité et persécution. Beaucoup niaient sa sainteté, et des calomnies habilement répandues firent de Geneviève un objet d’aversion aux yeux du vulgaire. Saint Germain, qui vint la visiter lors de son second voyage chez les Bretons en 447, eut à combattre ces préventions malveillantes, qui finirent par se dissiper. D’Auxerre à Paris, il communiquait avec elle en lui envoyant les eulogies, c’est-à-dire quelques fragmens du pain qu’il avait béni : naïve correspondance entre ce grand évêque, devant lequel les impératrices s’inclinaient, et l’orpheline dont il avait fait sa fille spirituelle.

Depuis qu’on parlait de l’arrivée prochaine d’Attila, surtout depuis que les ravages de la guerre avaient commencé, Geneviève semblait avoir mis de côté toute autre pensée. Profondément convaincue avec toutes les ames religieuses de son siècle que les événemens de ce monde ne sont qu’un résultat des desseins de Dieu sur les hommes, et qu’ainsi le repentir et la prière, en désarmant la colère divine, peuvent conjurer les calamités qui nous menacent, elle priait nuit et jour sur la cendre, appelant avec larmes le pardon de Dieu sur son pays. De même qu’en d’autres malheurs publics une autre fille des Gaules, — Jeanne d’Arc, Geneviève eut des visions ; elle apprit que la ville de Paris serait épargnée,