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Et par qui, sans combats, des voiles trop discrets
La beauté se désarme à l’abri des forêts.

ERWYNN.

Un jour, des passions brisant la coupe amère,
Las des bonheurs humains avec ennui goûtés,
Des promesses du cœur étouffant la chimère,
J’ai fui cet air épais qu’on respire aux cités.

Et quand les bois sacrés m’ouvrirent leurs arcades,
Quand sous les noirs sapins j’eus gravi les hauts lieux,
Sur les glaciers, au bruit des vents et des cascades,
L’invisible apparut et dessilla mes yeux.

Dès-lors, à ce soleil sans nuage et sans tache.
Mon ame voit des champs plus touffus et plus verts ;
Sous les flots et les fleurs sentant ce qui se cache.
Pour son hôte inconnu j’aime cet univers.

ADMÉTE.

L’homme n’est jamais seul dans les lieux solitaires^
J’y sais mille témoins des amoureux mystères.
Chaque arbre et chaque flot a son hôte divin.
J’ai surpris dans les bois la nymphe et le Sylvain.
Sous l’écorce j’ai vu le faune en embuscade
De ses longs bras tortus enlacer la dryade.
Les tritons argentés, les nymphes aux yeux verts,
Souriant au pêcheur, s’ébattent sur les mers.
J’ai vu mes gais chevreaux et mes brebis paisibles
Souvent bondir au son de pipeaux invisibles ;
Puis un satyre, au loin, apparaissait dansant.
J’ai vu parfois glisser sur l’herbe, au jour naissant,
La napée y semant le safran et la rose.
Pareils à nous, ces dieux nous donnent toute chose ;
Nous leur devons la flûte avec l’art des chansons.
Et surtout de l’amour les fécondes leçons,

ERWYNN.

L’ineffable habitant qu’enveloppe le monde
Sous mille aspects divers est le même en tous lieux ;
Il chante avec la feuille et voit à travers l’onde ;
Partout présent, cet hôte échappe à tous les yeux.