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CARACTERES ET RECITS.




CORNELIA TULIPANI.




On trouve dans les régimens et surtout dans les régimens d’Afrique les espèces d’hommes les plus variées, les plus intéressantes et les plus originales parfois. Ainsi il y avait à l’escadron de chasseurs qui campait récemment à Mustapha un fourrier dont Cervantes et Lesage auraient aimé certainement à retracer les traits. George d’Herice, avant d’être soldat, avait été peintre, musicien et maître d’une somme assez ronde, placée sur le grand-livre, dont l’avaient dépouillé, disait-il, les arts, l’amour et l’amitié. — Ses camarades l’adoraient, quoiqu’il n’eût plus d’autres ressources à leur offrir que celles de sa gaieté, car cette gaieté était d’une nature toute particulière. Elle avait quelque chose en même temps de fou et de consolateur. Assurément, elle était à cent lieues d’être pédante, et cependant elle nous donnait parfois de fort profitables leçons. Le fait est que George d’Herice, tout gai que le ciel l’avait fait, possédait un esprit observateur et un cœur capable de passion. C’était sous quelques rapports un de ces artistes un peu compliqués d’à présent ; toutefois il se distinguait de la gent poétique proprement dite par une sorte de bonhomie militaire et de délicatesse chevaleresque qui m’attachèrent à lui le premier jour où je le vis.

Un soir, nous nous trouvions ensemble dans une sorte de cabaret situé sur la route de Mustapha, qui est assurément une des routes les plus pittoresques du monde. Une foule de voiturins, pour la plupart italiens ou maltais, la parcourent dans tous les sens, se croisent et s’injurient