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de la musique dramatique, dont il partage les vicissitudes. Il serait donc facile de caractériser le génie d’un compositeur par le talent des chanteurs auxquels il aimait à confier la traduction de sa pensée, et l’on trouverait dans cette association souvent fortuite une certaine analogie de goût et d’inspiration dont le concours enfante les chefs-d’œuvre. Gluck n’aurait pas fait peut-être son opéra d’Orfeo, s’il n’eût trouvé un chanteur aussi admirable que l’était le sopraniste Guadagni, et croit-on que Mozart se fût abandonné aux caprices bizarres qui remplissent le rôle de la reine de la nuit dans la Flûte enchantée, s’il n’y avait été forcé par une prima donna assoluta, dont la voix de soprano suraigu parcourait une échelle d’une immense étendue ? Lorsque Rossini a écrit son Barbier de Séville en 1816 à Rome, il a dû certainement consulter les aptitudes de Garcia, qui a créé le rôle d’Almaviva, de Zamboni, qui a chanté celui de Figaro, et de Mme Georgi Righetti, dont la voix de mezzo soprano explique pourquoi l’illustre maestro a composé la partie de la vive et sémillante Rosine dans un diapason qui semble mieux convenir à des caractères plus sérieux. L’œuvre tout entière de Rossini pourrait s’analyser par le talent et l’individualité des chanteurs qu’il a rencontrés sur son chemin, et dont l’influence sur le génie du grand musicien a été plus considérable qu’on ne le croit communément. N’y a-t-il pas aussi une analogie frappante entre le talent de Rubini, de Mme Pasta et le génie de Bellini, qui a composé pour ces deux artistes la Sonnambula en 1831 ? Les meilleurs ouvrages de Jomelli ont été écrits pour deux virtuoses célèbres, la Deamicis et le sopraniste Joseph Aprile. Viganoni était le ténor favori de Cimarosa, celui qui avait le mieux compris le rôle de Paolino du Mariage secret et l’air admirable de Pria che spunti. Enfin par son talent tempéré, par sa voix touchante et les graves de sa personne, Céleste Coltellini était la femme qu’il fallait au génie de Paisiello pour lui inspirer son chef-d’œuvre.

C’est à Naples, c’est en 1784, nous l’avons dit, que la Coltellini et Paisiello se rencontrèrent pour la première fois ; mais ce n’est que deux ans après, en 1786, que la cantatrice, revenue de Vienne, eut des relations suivies avec le compositeur. Ce fut l’époque la plus heureuse de la vie et la période la plus brillante de sa carrière. Remplie d’admirateurs, sa maison était le rendez-vous de la meilleure compagnie. La Coltellini avait plusieurs frères et trois sœurs, l’une plus jolie que l’autre, lui attiraient autour d’elles tout ce qu’il y avait à Naples d’hommes distingués, d’artistes célèbres et de femmes à la mode. L’abbé Galiani y allait souvent dépenser sa verve en mots piquans et en contes facétieux. Il s’y rencontrait avec lady Hamilton, cette beauté célèbre qui devait jouer un rôle si funeste dans la révolution de 1799 ; mais alors, à cette époque paisible de 1780 à 1790, la société napolitaine était,