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par une sorte de fantaisie cruelle, comme pour mieux voir de quelle manière on parviendra à les surmonter ; on aime à ajouter aux difficultés réelles, déjà amoncelées dans une situation, les difficultés qui naissent des combinaisons, des directions arbitraires, et dont on pourrait aisément se passer. De même qu’en certaines heures on est porté à tendre tous les ressorts, à excéder toutes les limites, à briguer toutes les occasions d’agir, il est d’autres momens où on croit avoir tout résolu, au nom d’une opinion, en s’abstenant, en s’isolant et se retirant de tout ; il y a des épidémies de démissions ; la mode s’en mêle presque ; on prend rang dans le parti par un refus de serment. Il devient tout à coup avéré qu’en continuant à aligner des budgets communaux ou en votant des routes de département dans un conseil-général, on met en cause la monarchie de Clovis. Que faut-il pour produire ces révélations ? Un mot qui court dans l’air, venu d’Allemagne, rien de plus.

Qu’on nous entende bien : nous ne discutons point ici la chose qui se peut le moins discuter, en raison même de ce qu’elle a de sacré et de mystérieux le serment. Nous n’ignorons point, d’un autre côté, quelle réserve nous est imposée sur un document qui a fait du bruit sans être public, et dont l’opportunité, au surplus, n’est point également démontrée aux yeux de tous ceux à qui il s’adresse. Le caractère du serment en lui-même, c’est d’être une affaire de conscience essentiellement intime, essentiellement individuelle. Indubitablement, au milieu des circonstances nouvelles qui peuvent survenir dans la vie d’un pays en la transformant, il y a des situations que dominent des considérations spéciales ; il y a des hommes qui ont le droit, sinon le devoir, de ne point abdiquer certains souvenirs ; il y a les susceptibilités du for intérieur. Chacun est juge de ce qu’il a à faire, chacun trouve en soi, dans le mystère de l’ame délibérant avec elle-même, l’unique et souverain conseil ; mais n’est-il point évident que là où une direction extérieure intervient pour tracer une règle, la question change de face ? Ce n’est plus seulement l’impulsion individuelle de la conscience, c’est un système de conduite qui s’applique à tout un parti, et il faut bien en venir politiquement à cette conclusion : — ou la coopération d’une fraction considérable de la société est utile au pays, et alors se retirer, c’est soumettre la convenance publique à une convenance de parti, — ou c’est confesser que le pays peut se suffire à lui-même sans ce concours, et il n’est point facile d’apercevoir l’habileté d’un tel aveu. — Les partis parmi nous, pour devenir une force politique, une puissance moins incertaine, ont besoin d’apprendre deux grandes choses : c’est d’abord la modération quand ils sont au pouvoir, c’est ensuite la constance et la fermeté quand ils n’y sont plus ; c’est ce sens pratique qui les fait parfois travailler au bien public même dans les conditions qu’ils n’ont point faites, parce qu’au-dessus de tout, avant tout et après tout, il reste toujours le pays. Si ce que nous disions des opinions en France est exact, s’il est vrai qu’elles se sont souvent affaiblies dans des entraînemens factices, en ne consultant point toujours la réalité, comment peuvent-elles retrouver leur force et leur ascendant dans ce qu’il a de légitime, si ce n’est en se mêlant à la vie du pays, en s’imprégnant de son esprit, en participant à la gestion de ses intérêts, en le servant, l’administrant et en ne se faisant point une destinée à part dans l’ensemble des destinées publiques ? — Mais nous ne nous retirons nullement, diront quelques légitimistes.