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depuis le duc-maréchal de Luxembourg ; toute cette école de Condé entièrement différente de celle de Turenne, à qui le duc d’Enghien souffla de bonne heure son génie et la partie divine de l’art, comme a si bien dit Napoléon, l’instinct de la guerre, le coup d’œil qui saisit le point stratégique d’une affaire, l’audace et l’opiniâtreté dans l’exécution : école admirable qui commence à Rocroy et d’où sont sortis douze maréchaux de France, sans compter tous ces lieutenans-généraux qui, jusqu’au bout du siècle, ont soutenu l’honneur de la France. C’était là la jeunesse qui s’amusait à Chantilly, et préludait à la gloire par la galanterie.

On se doute bien que Mlle de Bourbon n’avait pas plus mal choisi que son frère. Elle s’était liée avec la marquise de Sablé, qui devint l’amie de toute sa vie ; mais, beaucoup plus jeune qu’elle, elle avait des compagnes sinon plus chères, au moins plus familières : elle s’était formé une petite société intime, particulièrement composée de Mlle de Rambouillet, de Mlle du Vigean, et de ses deux cousines, Mlles de Boutteville. Il faut convenir, que c’était là un nid de beautés attrayantes et redoutables, encore unies dans leur gracieuse adolescence, mais destinées à se séparer bientôt et à devenir rivales ou ennemies.

Voiture, on le conçoit, prenait grand soin de ces belles demoiselles, et surtout de Mlle de Bourbon : il la célébrait en vers et en prose, sur tous les tons et en toute occasion. Même dans ses lettres écrites à d’autres, il ne tarit pas sur son esprit et sur sa beauté : « L’esprit de Mlle de Bourbon, dit-il, peut seul faire douter si sa beauté est la plus parfaite chose du monde. » Lui aussi, c’est toujours à un ange qu’il se plaît à la comparer :

De perles, d’astres et de fleurs,
Bourbon, le ciel fit tes couleurs,
Et mit dedans tout ce mélange
L’esprit d’un ange !


Ailleurs :

L’on jugerait par la blancheur
De Bourbon, et par sa fraîcheur,
Qu’elle a pris naissance des lys, etc.


C’est à elle encore qu’il adresse cette agréable chanson, destinée sans doute à être chantée à demi-voix, dans un bosquet de Chantilly, devant Mlle de Bourbon endormie :

Notre Aurore vermeille
Sommeille ;
Qu’on se taise à l’entour,
Et qu’on ne la réveille
Que pour donner le jour[1] !

  1. Édit. de 1745, tome Ier, etc. — Notre aurore vermeille, jusqu’ici parfaitement inconnue, est en effet Mlle de Bourbon elle-même, selon une ancienne tradition conservée par le recueil manuscrit de chansons dit Recueil de Maurepas, car vis-à-vis ce premier couplet on y trouve cette note : Pour mademoiselle de Bourbon endormie.