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aux pieds de Mme de Montbazon et la servit jusqu’à la mort[1], surtout Coligny, le fils du maréchal de Châtillon, l’aîné de Dandelot, qui s’était distingué à la guerre, sans avoir jeté un grand éclat, mais qui possédait un bien grand mérite aux yeux d’une jeune fille, celui de la plus ardente passion. Osa-t-il la déclarer, et comment fut-elle reçue ? C’est une histoire qui nous mènerait un peu loin. Hâtons-nous de dire qu’en 1642 M. le Prince et Mme la Princesse, ne trouvant pas un seul seigneur un peu jeune dans tout le royaume auquel la politique leur permît de donner Mlle de Bourbon, lui proposèrent le plus grand seigneur de France après les princes du sang, le duc de Longueville, qui rachetait cet avantage par des défauts considérables : il était veuf de Louise de Bourbon, fille du comte de Soissons, dont il avait eu Marie d’Orléans, qui’ avait déjà dix-sept ou dix-huit ans ; il en avait quarante-sept, et même à cet âge il passait pour encore attaché à la plus triste coquette du temps, Mme de Montbazon. Mlle de Bourbon résista, ou du moins elle témoigna d’abord une vive répugnance ; il fallut bien céder ; elle prit alors son parti avec la résolution qu’elle montrait dans toutes les grandes circonstances. Elle épousa donc, le 2 juin 1642, à vingt-trois ans, le cœur et l’esprit remplis de poésie et de galanterie, un homme beaucoup plus âgé qu’elle, et qui n’était pas même assez touché de ses charmes pour avoir entièrement renoncé à une ancienne maîtresse.

Les fêtes de ce mariage furent encore plus brillantes que celles du mariage du duc d’Enghien. Mlle de Bourbon marcha à l’autel avec une sorte d’intrépidité, et elle parut presque gaie à l’hôtel de Longueville, occupant trop les spectateurs de son éblouissante beauté pour qu’on remarquât la violence qu’elle se faisait. C’est son historien, le janséniste Villefore, qui nous a conservé cette tradition. Trompeuse apparence ! gaieté, courage, éclat mensongers ! Un an s’était à peine écoulé que la blanche robe de la jeune mariée avait déjà des taches de sang, et que, sans même avoir donné son cœur, long-temps encore inoccupé, elle faisait naître involontairement la plus tragique querelle, où Coligny, qui avait soupiré pour elle, périssait, à la fleur de l’âge et peut-être sous ses yeux, de la main d’un de ces Guises auxquels elle avait été un moment destinée. Prélude sinistre des orages qui l’attendaient, première aventure qui consacra d’abord sa beauté d’une manière funeste, et lui conquit, à vingt-quatre ans, dans le monde de la galanterie, un renom, une popularité même presque égale à celle que la victoire avait faite à son frère, le duc d’Enghien.


VICTOR COUSIN.

  1. L’amour de Beaufort pour Mme de Longueville est un fait peu connu et qu’atteste, La Châtre, son intime ami. Voyez ses Mémoires, collection Petitot, t. LI.