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par la couleur de la peau que par la forme du visage : ceux-là ont le front étroit, les mâchoires lourdes et saillantes, les yeux vifs et noirs posés à la chinoise, et les cheveux lisses et brillans comme du jais ; leur physionomie, pleine de douceur, porte l’empreinte de la mélancolie et de la résignation. Le sambo a le teint plus foncé, les cheveux crépus, les lèvres épaisses. On chercherait en vain la beauté plastique chez les habitans de Callao : ils sont pour la plupart petits et malvenus ; mais, à défaut de cette beauté précise, déterminée, qui frappe soudain le regard, on y rencontre souvent chez les femmes indiennes une sorte de grace dont on subit le charme, alors qu’un rayon de l’ame traversant l’enveloppe matérielle vient éclairer leur physionomie. Le costume des gens du peuple est à Callao, comme dans toutes les villes de la côte du Pérou, le même qu’au Chili. C’est pour les hommes un poncho de laine sur un pantalon de grosse toile. Les femmes se drapent aussi le torse dans un châle de couleur écarlate, et mêlent à leur chevelure des œillets ou des fleurs de jasmin ; leur chaussure, plus élégante que comfortable, se compose le plus souvent d’un bas de soie rayé ou couleur de chair dans un soulier de satin blanc.

Le toit de l’homme du peuple est ici toujours hospitalier pour l’étranger ; un visage souriant l’accueille à son entrée, un souhait de bonheur l’accompagne à sa sortie. L’intérieur des habitations est en général simple et modeste, sans être misérable ; le mobilier de la pièce principale est ordinairement un lit paré avec lune certaine affectation, une table dont un bouquet de fleurs fraîchement cueillies occupe le milieu, une causeuse cachée par une housse d’indienne imprimée, puis çà et là des escabeaux grossiers. Quelquefois un hamac destiné à la sieste joint les angles opposés des murailles blanchies à la chaux, contre lesquelles on aperçoit toujours accrochée à un clou l’indispensable vihuela [1] destinée à charmer les heures de loisir.

Il faut peu de temps pour explorer la ville de Callao. Nous revenions, après quelques heures de promenade, à la Fonda de la Marina, où nous avions élu domicile, avec cette tristesse qui accompagne d’ordinaire toute curiosité déçue, quand nous aperçûmes un groupe nombreux qui se pressait à l’entrée d’une case d’où s’échappait, mêlé à des clameurs discordantes, le frémissement cadencé des guitares. Le spectacle devait offrir un sérieux intérêt, à en juger par l’attitude des gens qui masquaient la scène. Tous, le cou tendu, les narines dilatées, les lèvres frémissantes, plongeaient des regards avides dans un appartement éclairé par je ne sais quelle lueur fauve et vacillante. Les uns applaudissaient de la voix et du geste les acteurs invisibles, d’autres jetaient quelques mots au concert vibrant de l’intérieur, et toutes ces

  1. Guitare.