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serrées aux hanches, approcha en se dandinant avec confiance ; la danseuse alors, par un manége plein de coquetterie, commença une série de glissades et de pirouettes dans l’intention apparente d’éviter le regard de son partner, qui, de son côté, s’épuisait en vains efforts pour la regarder en face. Bientôt las d’une manœuvre stérile, il se prit à sauter pour sa propre satisfaction, et simula tout l’entrain de l’indifférence. La samba le rejoignit aussitôt en piétinant avec une mutinerie charmante ; puis elle recula, revint encore, et reconquit son prestige en produisant des trésors de grace et de souplesse. Le nègre, enchaîné de nouveau à sa suite, imitait de son mieux ses fantasques évolutions. Tantôt elle se balançait lentement comme l’oiseau qui plane et oscille avant de s’abattre, tantôt elle frétillait comme le poisson qu’un bruit effarouche. Ses mouvemens, quelquefois d’une régularité parfaite, se transformaient tout à coup, et devenaient vifs, inégaux, insaisissables. Au fur et à mesure que l’action se déroulait, les guitareros raclaient leurs instrumens avec plus de fureur ; le choc cadencé des poings faisait tressaillir les flacons sur la table ébranlée, et l’assistance, d’une commune voix, chantait à tue-tête :

Quisiera ser como el perro
Para amar y no sentir,
El perro como es patiente
Todo se le va en dormir ;
Ahora samba y como no.[1]

La danse prit bientôt un caractère plus véhément ; les pirouettes et les glissades tirent place aux gestes passionnés, aux postures lascives, aux expressions de plus en plus ardentes et impétueuses. Les regards des danseurs, rivés l’un à l’autre, se renvoyaient leurs éclairs, leurs genoux s’entrechoquaient, leurs reins tressaillaient comme galvanisés d’énergiques palpitations faisaient onduler leur poitrine. Enfin un frémissement fiévreux parcourut le corps du nègre. On eût dit qu’il concentrait dans une suprême aspiration magnétique toutes les puissances de sa volonté. La samba se raidissait contre cet appel fascinateur ; mais ses pas incertains la ramenaient toujours vers celui qu’elle voulait fuir ; échevelée, haletante, vaincue, elle frit par tomber entre les bras du noir, qui l’enleva triomphant et la déposa à demi pâmée sur une causeuse au milieu d’une explosion de bravos.

Nous en"avions vu assez pour comprendre la répugnance qu’éprouvent les femmes du monde à exécuter dans les salons péruviens certaines danses nationales. Nous laissâmes sambos et sambas continuer

  1. « Je voudrais être comme le chien - pour aimer et ne pas souffrir. — Le chien, comme il est patient, — oublie tout pendant qu’il dort. — A présent, samba, et pourquoi pas ! »