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pour jeter aux passans ses fleurs et ses parfums. Nous touchions à une terre généreuse, et, tandis que nous donnions un souvenir plein de gratitude au vice-roi Abascal, qui, voulant continuer aux voyageurs le bienfait des ombrages, se proposait de conduire jusqu’au port de Callao l’avenue et les acequias qui la bordent, notre omnibus tourna brusquement vers la gauche, se dirigeant vers un grand portique assez élégamment orné de moulures en stuc. Une large porte fermée, à battans verts, en occupait le centre ; elle était accostée de deux portes plus petites, dont l’une était ouverte : c’était la puerta de Callao, principale entrée de Lima. Dès que nous eûmes traversé le portique et satisfait aux formalités de l’excise, nous enfilâmes une longue rue bordée de murailles peintes en façades de maisons, c’est-à-dire qu’au moyen du badigeon de différentes couleurs qui les couvrait tout entières, on y avait simulé des portes et des fenêtres. Ce spécimen des rues de Lima, triste et morne comme une mauvaise décoration de théâtre vue au grand jour, nous inquiétait déjà quand nous entrâmes dans une rue bordée de maisons véritables. Quelques minutes après, l’omnibus nous déposa dans la calle de los Mercadores, la rue la plus commerçante de la ville, d’où, après avoir pris congé de nos compagnons de voyage, qui nous firent toute sorte d’offres de service, nous courûmes nous réfugier, ruisselans de sueur et couverts de poussière, à la Fonda Francesa, où nous étions attendus par l’amo de la casa, brave et digne compatriote établi à Lima depuis plusieurs années.


III. - LA BUENA NOCHE.

Nous étions entrés à Lima la veille de Noël. Les carillons des innombrables églises de la ville appelaient les fidèles aux offices ; mais, pour quelques sons vibrans et de bon aloi, des centaines de voix enrouées, asthmatiques et fêlées, appartenant sans doute à des fragmens d’airain, jetaient quelque brusque clameur du haut des clochers, ou murmuraient sourdement une psalmodie rogue et menaçante. Peu habitués à d’aussi étranges sonneries, nous ne pûmes d’abord nous défendre d’une certaine impatience bien justifiée par ce chaos de bruits impitoyables. Plus tard cependant nous en vînmes à trouver dans ces carillons désordonnés et sauvages, qui se renouvelaient chaque jour (car à Lima on honore officiellement presque tous les saints du calendrier), un charrue singulier, dont les austères sonneries de nos fêtes religieuses n’ont jamais pu réveiller en nous le souvenir.

La Fonda Francesa où nous demeurions était située au centre de la ville, dans la calle de Bodegones, à deux pas de la place principale ou Plaza-Mayor. Comme le Palais-Royal à Paris, cette place, entourée de galeries exclusivement vouées au commerce, est le rendez-vous habituel des étrangers et des oisifs. Nous y allâmes chercher nos premières