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avait tant de feu, leurs accens tant de charme, leur désinvolture tant de surprenante légèreté, elles paraissaient vivre avec un tel mépris des choses positives, avec une si complète ignorance des misères de ce monde, qu’il émanait d’elles comme un rayonnement de bonheur dont nous nous sentions pénétrés. Rien dans cette population pimpante et radieuse ne pouvait nous avertir que nous fussions au cœur d’une ville tourmentée et appauvrie par trente années de luttes anarchiques.

Les nacimientos semblaient accaparer, ce jour-là, toute la faveur populaire. On nomme nacimiento la légende du christianisme composée en relief, étalée sous les portiques de certains couvens et même dans des maisons particulières, sous les auspices de quelques vieilles béates. La foule visitait les nacimientos en quelque sorte processionnellement ; nous suivîmes d’instinct l’un de ses courans, et nous nous trouvâmes bientôt enclavés dans une cohue qui assiégeait un vestibule où l’on se heurtait comme à la porte d’un de nos théâtres le jour d’une représentation extraordinaire. Les femmes surtout mettaient à pénétrer dans l’intérieur une persévérance héroïque. Ce ne fut pas sans peine que nous arrivâmes nous-mêmes jusqu’au nacimiento ; encore n’y pûmes nous donner qu’un coup d’œil, tant nous étions ballottés par le flux et le reflux des curieux. Le nacimiento n’est pas, comme encore aujourd’hui dans certaines villes de nos provinces, la scène de la nativité circonscrite dans un petit cadre : c’est l’histoire complète de notre Seigneur, remplissant un vaste espace en hauteur ou en largeur, suivant que l’exige la forme du local qui la contient. Le drame se déroule sur un terrain accidenté, qui commence à l’étable de Bethléem et qui aboutit au Golgotha. Montagnes arides, rochers menaçans, fraîches oasis, villages, fleuves, torrens, tout cela est disposé avec ordre, tout cela est peint de couleurs naturelles. Des étoiles de clinquant étincellent dans l’azur du ciel ; l’une d’elles, la plus brillante, suspendue à un fil, guide les mages vers l’enfant-Dieu, et, comme toutes les figures sont mobiles, la scène reçoit de fréquentes modifications ; ainsi les rois et les bergers, qui, dans les premiers jours de l’Avent, se trouvent fort loin de Bethléem, touchent, la veille de Noël, au seuil de l’étable. On passe successivement en revue le massacre des innocens, la décollation de saint Jean-Baptiste, la fuite en Égypte et tous les épisodes de la Passion.

Les ordonnateurs de ces nacimientos sont de vrais artistes populaires, qui luttent entre eux d’imagination, de naïveté, quelquefois même d’érudition. Il y a entre les différens quartiers de la ville des rivalités de nacimientos. Ceux-ci sont plus riches, ceux-là plus complets, d’autres plus ingénieusement composés. Parmi ceux que nous visitâmes, nous en remarquâmes un qui occupait un espace de trente mètres il est vrai qu’à l’histoire sacrée on avait cru devoir joindre des sujets empruntés à notre époque, tels que les différens métiers de l’architecture