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du Pérou, porte à Lima le nom de los Maricones, elle existait déjà sous un autre nom chez les Incas et avait pris une extension tellement inquiétante, que plusieurs chefs, entre autres Tupac-lupanqui et Lloque lupanqui, prirent les armes contre elle et la poursuivirent sur divers points de l’empire. La vice-royauté, pendant trois siècles, ne fut pas plus heureuse que les Incas dans sa lutte contre les Maricones. Il devait être donné à l’irruption des idées et des mœurs européennes ; au début de l’émancipation., de déchirer en quelque sorte le voile qui cachait à la nation les égaremens et les débauches de la société tant de fois poursuivie. De nos jours, l’association des Maricones n’est pas détruite, mais elle est agonisante : nous avons souvent pu voir sur la Plaza-Mayor divers débris de cette étrange association. L’un d’eux surtout jouissait à Lima d’une éclatante popularité ; c’était un tanalero (marchand de comestibles) gras, imberbe et fleuri comme un soprano. Cet individu portait un chapeau de paille de Guayaquil et le large tablier blanc du cuisinier. Bien qu’il fût constamment en exercice du matin au soir, comme certains pâtissiers de nos boulevards, son bavardage, encore plus intarissable que sa marchandise, charmait un auditoire qui, sans cesse arrêté devant lui bouche béante comme devant un grand orateur, grossissait de façon à intercepter le passage. Sa voix de femme claire et vibrante disait avec un esprit fort vif l’anecdote du jour, critiquait les mœurs et se permettait même parfois des incartades politiques. Les tapadas étaient particulièrement le point de mire de ses mordantes allocutions, il les interpellait au passage et les poursuivait de ses railleries ; mais souvent aussi elles lui ripostaient avec succès : elles trouvaient, pour soutenir, ces luttes frivoles, une vigueur et une originalité de repartie qui arrachaient aux spectateurs de bruyantes et sympathiques manifestations. Cette guerre d’épigrammes, où brillait l’infatigable fécondité du tamalero, se prolongeait d’ordinaire jusqu’au moment où un autre spectacle venait attirer les curieux et laisser dans l’isolement les parties belligérantes. Le commerce du tamalero était fort intéressé, disait-on, à ces brillans tournois qui appelaient l’attention sur sa marchandise. Cet industriel devait même à sa verve d’improvisateur deux ou trois fortunes que le monte (1), dont il poussait la passion jusqu’à la frénésie, avait successivement dévorées.

Nous ne passions jamais devant l’étalage du tamalero sans faire de tristes réflexions sur la fâcheuse influence qu’exerce au Pérou la fièvre du jeu. Nulle part on ne poursuit avec un aveuglement plus opiniâtre la déesse aux yeux bandés ; — les jeux de : hasard, les paris et la loterie engloutissent la paie péniblement, acquise de l’arriero déguenillé, du