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puisse rencontrer une corbeille de fleurs et un flacon d’agua rica[1]. C’est une politesse fort usitée dans le peuple que de fleurir la boutonnière et de parfumer le mouchoir d’un visiteur. — Dans les grandes circonstances, aux époques de baptême ou d’anniversaire, le luxe suprême consiste à distribuer aux invités de petites pommes vertes où des incisions remplies de poudre d’aloès forment des arabesques élégantes, entrecoupées çà et là, de clous de girofle. Ces divers ingrédiens, dont le suc du fruit entretient l’humidité, dégagent une senteur des plus agréables ; puis ce sont encore des oranges dans un réseau de filigrane d’argent, et surtout de longues pastilles d’encens recouvertes de papier métallique couleur de feu, où la cannetille et les perles de différentes nuances figurent de gracieuses spirales. À l’une des extrémités s’épanouit une gerbe étincelante de petites lames d’or et d’argent, parsemées de grains de verre qui simulent des saphirs, des rubis et des émeraudes. Souvent aussi des fils métalliques retiennent des escudites de dix francs, qui concourent à l’ornement de ces colifichets et leur donnent une valeur plus sérieuse. Les couvens de femmes ont le monopole de ces coûteuses inutilités, dont le travail précieux va s’engloutir dans quelque brasero en jetant un peu de fumée odorante. Les esclaves fouillent alors les cendres pour en retirer les escudites, si leurs maîtres, se conformant au bon ton, ne les ont pas détachées. Chez les Liméniens, le nécessaire, toujours à peu près sacrifié au superflu, n’existe guère que dans des limites fort restreintes. Quant au comfort, c’est tout au plus s’il a pénétré dans quelques demeures exceptionnelles. Les habitudes de sobriété particulières à ce peuple s’accordent au reste merveilleusement avec son besoin de luxe et d’ostentation. En général, le seul repas sérieux, que l’on fasse dans la journée se compose d’un ou deux plats, et l’on y boit rarement autre chose que de l’eau : un potage, sorte de coulis épais où la viande tient lieu de pain, le puchero et l’olla classiques de la cuisine espagnole sont demeurés les plats de résistance dans les classes aisées. Sur les tables plus modestes apparaissent les mets nationaux, où les condimens jouent leur implacable rôle. On voit quelquefois chaque membre d’une famille manger à sa guise et à ses heures, l’ordre et la règle n’étant pas les vertus dominantes des ménages péruviens.

Quelques circonstances bizarres ont gravé dans ma mémoire le souvenir d’un dîner où l’on m’offrit une place, sans préméditation, je dois l’avouer. L’un de ces hasards que font naître sous vos pas les habitudes liméniennes me mit en rapport, au cirque del Acho, avec une tapada, et j’obtins de sa grace l’autorisation de l’escorter jusqu’à sa demeure. Nous entrâmes dans une maison de modeste apparence, et ma

  1. Eau de senteur.