Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/1116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Montgeron fut traité comme un voyant, et, dans ses portraits, on le représenta avec un Saint-Esprit au-dessus de la tête.

Barbier, dont la foi est loin d’être vive, donne aussi aux miracles une assez large place dans son Journal. Il raconte comme un fait avéré qu’en 1737 Mlle Le Juge, fille d’un correcteur de la chambre des comptes, étant depuis long-temps abandonnée des médecins et sur le point de rendre le dernier soupir, son père lui fit boire un verre d’eau où l’on avait mêlé de la terre prise au tombeau du diacre Pâris ; une demi-heure après, Mlle Le Juge appelait sa femme de chambre, et lui donnait l’ordre de l’habiller pour sortir. La guérison de Mme La Fosse, dont le souvenir fut consacré par une procession qui se célébrait encore en 89, ne laisse aucun doute dans l’esprit de Barbier. « Ce fait, dit-il, est si avéré, que je suis moi-même obligé de le croire, ce qui n’est pas peu. » Et comment Barbier n’aurait-il pas cru, quand Voltaire lui-même figure au nombre des témoins qui certifièrent cette guérison miraculeuse lors de l’enquête ordonnée par le gouvernement ? Mercier parle aussi des convulsionnaires avec une certaine surprise : « Ils font, dit-il, des tours de force qui surpassent, il faut l’avouer, tout ce que l’on voit à la foire de plus étonnant. Un poète, Guimond de La Touche, auteur de la tragédie d’Iphigénie en Tauride, est mort à Paris pour avoir vu des convulsionnaires ; il fut tellement frappé d’horreur et d’effroi, qu’il en prit la fièvre,… et il expira. »

Quand on a écarté les exagérations de M. de Montgeron, qui fut désavoué d’ailleurs par les gens sensés de son propre parti, quand on a fait la part de l’impossible et de la réalité, il reste encore dans la réalité même de quoi surprendre. Le fait des convulsions, cet état d’agitation violente ou d’insensibilité extatique dans lequel sept ou huit cents personnes tombaient à la fois, ne saurait aujourd’hui être révoqué en doute ; mais comment ce phénomène s’est-il produit en plein XVIIIe siècle ? Un livre rare et peu connu du médecin Hecquet peut fournir à cet égard de vives lumières ; Hecquet a remarqué que les convulsionnaires, à de très rares exceptions près, étaient tous des femmes, et, en analysant les circonstances qui accompagnaient chez elles les crises extatiques[1], il n’a point hésité à en attribuer la cause physiologique à une violente surexcitation des passions. Les anecdotes de l’avocat Barbier complètent les observations du médecin, et prouvent que, si les convulsions avaient leur cause première dans la surexcitation des sens, le crédit qu’elles trouvèrent auprès du public eut aussi sa source dans l’habileté de quelques intrigans. Le parti janséniste comptait encore au nombre de ses adhérens des membres de la haute noblesse, des magistrats, des fonctionnaires, de riches bourgeois. Il avait de l’argent, la force que donne l’esprit de secte et d’association, et, par cela même, il se recruta de tous les individus qui n’avaient ni ressources ni crédit. Les faits réels, ce qu’on pourrait appeler les accidens nerveux, furent exagérés à dessein. Port-Royal tout entier eût donné son sang pour le miracle de la sainte épine ; les habiles du parti, qui, de jour en jour, étaient devenus plus nombreux, donnèrent de l’argent pour les miracles de Saint-Médard ; ceux qui faisaient métier de jansénisme payèrent des gens de bonne volonté pour faire le métier de convulsionnaires, et ce qui dans l’origine avait été sincère

  1. Voir pour les détails le docteur Becquet, Naturalisme des Convulsions.