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le point de vue, il contient pourtant, sur les événemens qu’il raconte, un ensemble d’informations assez complet, assez impartial, pour que le lecteur attentif y trouve la possibilité de se les représenter avec leur véritable caractère.

Ce qui me frappe avant tout dans ce grand drame, c’est la gravité et la diversité des obstacles que le ministère eut à vaincre pour mener à bien son entreprise, c’est la patience ferme et habile qu’il mit à les surmonter. N’oublions pas que la tâche si difficile de faire accepter par les deux chambres une loi destinée à modifier considérablement la composition de la représentation nationale lui était, en quelque sorte, imposée par la nécessité, que dans les rangs de l’opposition il n’avait qu’assez faiblement contribué à préparer la crise où se débattait l’Angleterre, que, livré à ses propres instincts, au sentiment bien ou mal entendu des intérêts du grand parti dont il était sorti, il n’eût pas demandé une réforme aussi large, qu’au fond plusieurs de ses membres ne la croyaient pas exempte de périls, mais qu’au point où les choses en étaient venues, en présence des exigences de l’opinion surexcitée par une trop longue résistance et aussi par l’état général de l’Europe, ils jugeaient avec raison que c’était le seul moyen d’échapper à un danger bien autrement grand, celui d’une révolution immédiate.

Dans cette disposition d’esprit, l’administration avait à combattre toutes les forces, toutes les influences du parti tory, maintenant rallié comme un seul homme pour repousser un changement qu’il regardait, par une exagération singulière, comme son arrêt de mort, comme la ruine de l’aristocratie et de la propriété, comme l’avènement de la pure démocratie ; elle avait’ à surmonter l’opposition de la grande majorité de la chambre des lords, naturellement mécontente de la suppression d’un système qui donnait à la pairie une action si puissante et si directe sur les élections ; enfin, à la cour même et jusque dans la famille royale, les ministres rencontraient des adversaires passionnés, qui ne tardèrent pas à éveiller dans l’esprit du roi de sérieuses inquiétudes et à le tourner secrètement contre la mesure à laquelle il accordait sa sanction publique et officielle.

Contre tant d’obstacles, le cabinet avait, il est vrai, l’appui des classes moyennes et des masses populaires se manifestant avec une vivacité et une unanimité rares ; mais cet appui, il fallait le ménager, le contenir, pour ne pas être entraîné trop loin, pour ne pas devenir bientôt l’esclave et l’instrument des agitateurs auxquels on se serait imprudemment associé. Il était sans doute nécessaire, alors que la chambre des lords se refusait aveuglément au vœu public, de lui donner le sentiment des dangers auxquels elle s’exposait ; mais il fallait éviter de la menacer trop ouvertement, d’humilier, de dégrader moralement et même de trop dénaturer, par une nombreuse création de pairs, ce