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lequel il luttait si vaillamment. L’esclavage qu’il essayait de détruire avait exercé sur son esprit même une funeste influence. Cette indifférence pour la vérité qui est inséparable de la condition de l’esclave avait perverti l’esprit de l’homme destiné à vaincre, dans une grande circonstance, la tyrannie qui marquait de son empreinte ignominieuse la race à laquelle il appartenait.

« La grande erreur de M. O’Connell fut de confondre le peuple anglais avec l’oligarchie qui gouvernait l’Irlande. S’il eût énergiquement lié la cause de la liberté et du bon gouvernement dans son pays avec la même cause dans le nôtre, il n’eût pas été entravé dans ses efforts par l’amour-propre blessé de la nation britannique. Les déclamations sauvages auxquelles il se livrait pour maintenir son ascendant sur les paysans irlandais et sur la population catholique des villes ne pouvaient manquer de blesser vivement les classes moyennes de l’Angleterre. Les exigences de sa position expliquaient ces écarts, mais elles n’en atténuaient pas les fâcheux effets. »

Sauf quelques traits hasardés, ce portrait me paraît d’une grande vérité. Dans un autre passage, M. Roebuck, parlant des efforts faits par O’Connell pour organiser un mouvement dans le sens du rappel de l’acte qui avait uni législativement l’Angleterre et l’Irlande, s’exprime ainsi : « Il voulait entretenir l’agitation, mais il n’espérait pas, il ne désirait même pas le rappel de l’union. Il aimait l’agitation, parce qu’il en vivait. Il craignait la guerre, parce qu’il n’aimait pas le danger, et aussi parce qu’en réalité son ame était bienveillante ; mais le rappel, il le savait bien, ne pouvait être que le résultat d’une guerre. Il était également certain que, dans le cas même où l’Angleterre se serait décidée à l’accorder sans lutte, l’Irlande serait devenue immédiatement le théâtre d’une guerre civile qui n’aurait cessé que par l’extirpation complète de l’une ou de l’autre des parties contendantes. Si le bras vigoureux de la puissante Angleterre n’était pas là pour maintenir la paix, l’incendie, le massacre, la famine et la peste règneraient en maîtres dans ce pays, et l’Irlande, par le fait de ses propres enfans, deviendrait un spectacle de mépris, d’horreur et de pitié pour l’univers. Personne ne le savait mieux que M. O’Connell, et personne ne redoutait davantage d’aussi terribles chances. Cependant l’agitation qu’il désirait entretenir fit un très grand mal : elle persuada au monde que la vie et la propriété n’avaient aucune garantie en Irlande, et par là elle rendit impossible l’amélioration de son peuple. L’erreur capitale de la politique des administrations successives qui eurent à lutter contre l’influence de M. O’Connell fut de ne pas le tirer des besoins pécuniaires qui le poussaient dans les voies de l’agitation. Après le vote du bill d’émancipation, sa mission était évidemment accomplie ; il lui fallait trouver un nouveau sujet de plainte pour qu’il