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pût vivre. Le ministère le savait ou devait le savoir. Il y eut alors une voie ouverte pour la conciliation. La vraie politique, celle que conseillait la prudence aussi bien que la générosité, eût été en ce moment de s’assurer du chiffre de ses dettes, de les payer et de lui procurer une position honorable et lucrative à laquelle son savoir comme légiste le rendait parfaitement apte. Si l’on eût suivi cette marche, l’Irlande serait aujourd’hui un pays paisible et florissant. »

Quoi qu’on puisse penser de cette dernière conjecture de M. Roebuck, les considérations qui la précèdent me paraissent fondées. J’ajouterai seulement que, pour ne pas en exagérer la portée, pour ne pas être injuste envers O’Connell, il faut admettre qu’en se laissant entraîner par des motifs personnels d’une nature peu élevée, il ne s’en rendait pas à lui-même un compte bien exact. Il est plus rare qu’on ne le pense, en politique surtout, de faire le mal tout-à-fait sciemment, de propos délibéré, et, dans les voies difficiles qu’ont à parcourir les hommes publics, la ligne du devoir n’est presque jamais tracée avec assez de netteté et de précision pour que, s’ils n’y prennent bien garde, ils ne soient pas exposés à se laisser égarer par les sophismes que leur suggèrent leurs passions et leurs intérêts. C’est une grande raison de juger leurs erreurs avec indulgence tant qu’elles ne dépassent pas certaines limites, tant qu’elles ne violent pas ouvertement les principes incontestables de la morale ; mais c’est aussi pour eux un avertissement de veiller sur eux-mêmes, de se prémunir contre de premiers entraînemens dont les conséquences peuvent les entraîner si loin, de consulter enfin le sentiment intérieur du devoir qui, sérieusement interrogé, nous trompe rarement, plutôt que les subtilités de la casuistique complaisante de l’esprit de parti.

Un autre homme d’état plus considérable encore que l’agitateur irlandais et dont les doctrines étaient, à certains égards, bien autrement éloignées de celles de M. Roebuck, sir Robert Peel, est aussi, de sa part, l’objet d’une appréciation intelligente et bienveillante dont on lui saurait plus de gré, s’il n’en avait pas fait l’occasion d’une diatribe passionnée contre les whigs. « Sir Robert Peel, dit-il, a commis de graves erreurs dans sa carrière politique ; néanmoins la nature de son esprit le rendait éminemment propre à devenir le guide puissant du peuple anglais. Il ne s’instruisait pas avec rapidité, mais il était toujours en voie de progrès. Il était toujours prêt à écouter le développement d’idées nouvelles comme à en reconnaître la vérité et l’importance, si elles étaient vraies en effet, et, bien que lent à les adopter, on le trouvait toujours disposé à les examiner et à les discuter. Ses plus fortes sympathies d’ailleurs étaient du côté de la nation, et non pas d’une petite section dominante ou d’un parti, et c’est en cela qu’il se distinguait surtout des hommes d’état whigs, dont il fut toute sa vie