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l’adversaire. Les whigs peuvent gouverner pour la nation, mais ils gouvernent certainement par une coterie. S’ils sont quelquefois libéraux dans leurs opinions, c’est que cela convient à leurs vues de parti. S’ils adoptent une idée nouvelle, c’est de même pour quelque résultat immédiat. Ils refusent de s’associer à tout ce qui n’appartient pas à leur secte particulière ; ils ne jugent capables de conduire sagement les affaires du pays que ceux qui sont alliés à leur parti, et qu’ils considèrent comme nés pour la domination. Sir Robert Peel n’avait rien de ces dispositions exclusives. Il était assez grand pour reconnaître et pour distinguer le mérite dans les autres ; il avait la sagesse de chercher à s’instruire, même auprès de ses adversaires, et la loyauté de ne pas dissimuler la dette qu’il contractait par là envers eux. C’est ainsi qu’il ne cessa jusqu’à la fin de faire des progrès avec la nation à laquelle il appartenait, ne devançant jamais l’esprit public, mais ne restant jamais beaucoup en arrière, dans les dernières années surtout. Si son intelligence eût été d’une trempe plus hardie et plus originale, il eût été probablement moins heureux comme ministre, parce qu’il aurait proposé des réformes avant que la nation fût préparée à les recevoir, et, en méritant la gloire d’un philosophe, il eût diminué sa puissance d’homme d’état ; mais c’était à un tout autre danger qu’il était exposé.

« En deux occasions importantes, il tarda trop à sortir des anciennes voies pour suivre le mouvement de l’opinion publique : il ne courait pas le risque de jamais le devancer ; mais la destinée du pionnier qui fraie le chemin n’est pas de recueillir le bénéfice immédiat ni l’honneur de son travail. Le philosophe qui découvre de grandes vérités, qui en réunit les preuves, doit se contenter d’avoir pour récompense, en attendant le respect et la reconnaissance de la postérité, la conscience de la valeur de sa découverte ; mais l’homme d’état, pour être utile, doit être puissant, et dans un gouvernement tel que le nôtre, chez un peuple aussi pratique que le peuple anglais, la marche la plus sûre pour un ministre réformateur, c’est de ne jamais devancer son temps. Qu’il n’épouse jamais avec obstination un ordre particulier d’opinions et de vues, qu’il soit toujours prêt à entendre, à écouter avec soin, avec égards ce qu’on lui exposera sur tous les côtés d’une question, mais qu’il s’abstienne religieusement de s’approprier aucune conception nouvelle jusqu’à ce que le public l’ait parfaitement comprise et adoptée. Sir Robert Peel, deux fois dans sa vie, commit l’erreur de rester trop long-temps en arrière. Dans la question catholique, il s’engagea tellement contre l’émancipation, qu’il ne lui restait plus aucune voie de retraite honorable. Il eut pourtant le courage de briser les entraves que lui avaient créées ses relations de parti et qu’il avait mis lui-même toute son habileté à fortifier. La leçon fut sévère, et, pour