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quels précédens historiques s’appuient les peintres qu’elles inspirent ? Il y a là une question grave pour l’art contemporain, et c’est en interrogeant le passé qu’on peut arriver, nous le croyons, à se rendre compte de l’action que le réalisme est appelé à exercer sur les progrès comme sur les écarts de la peinture française.

Si, en démentant par une contradiction formelle le génie et la tradition de l’art français, les paysagistes le dépouillaient de son caractère essentiellement spiritualiste pour substituer à cette « profonde délectation de l’esprit » dont parle Poussin une impression de surface, une sensation bornée et fugitive, si leurs efforts ne devaient aboutir qu’à ce résultat négatif, il faudrait dès à présent ne voir dans le succès qu’ils obtiennent qu’un signe de la décadence du goût. Il est plus juste, tout en signalant l’insuffisance et - à quelques égards - le danger des principes modernes, de ne pas contester les perfectionnemens apportés de nos jours à certaines parties de l’exécution. La vérité des tons, la science de l’harmonie, l’intelligence de l’effet, — qualités fort rares autrefois dans les tableaux de l’école française, — sont devenues maintenant si familières -à tous les paysagistes, que les plus obscurs d’entre eux savent peindre correctement un morceau d’après nature et orthographier pour ainsi dire sans hésitation les mots usuels de l’idiome pittoresque. De là cette multitude croissante d’études de paysage qui figurent aux expositions annuelles ; de là aussi un revirement complet de l’opinion sur les conditions de l’art lui-même. Le public, n’ayant plus sous les yeux des œuvres de haute portée, s’est aisément contenté d’œuvres agréables, et, les éloges des demi-connaisseurs aidant, il en est venu vite à s’accommoder d’un régime qui ne nécessitait de sa part ni une application fort grande, ni des connaissances très étendues. Tout le monde est apte à juger du degré d’exactitude qu’offre la représentation d’une chaumière ou celle de la lisière d’un bois : les modèles choisis par nos paysagistes fournissaient à chaque spectateur un terme de comparaison facile, et, comme les portraits étaient fidèles, on sut gré aux peintres de cette ressemblance naïve. Un peu plus tard, des scènes d’un genre moins familier, des vues de pays inconnus, furent appréciées comme elles méritaient de l’être, parce que les ouvrages précédens nous avaient habitués progressivement à discerner la vérité. Jusque-là, tout allait au mieux ; mais, à force d’applaudir aux talens réalistes qui venaient de se révéler, à force d’entendre crier au progrès autour de soi, — et quelquefois par des voix un peu intéressées, — on a pris cette exactitude de procès-verbal pour le dernier mot de l’art, et l’on a fini par oublier deux points essentiels : le mérite relatif des paysagistes antérieurs à notre époque et l’infériorité au point de vue esthétique du paysage en général. D’une part, on a sacrifié à l’engouement pour les productions contemporaines