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des peintres de portraits, si remarquables d’ailleurs malgré le faste de leur manière, quelques artistes, procédant d’influences et d’écoles provinciales, entrevoyaient déjà une sorte d’idéal familier et s’attachaient à le revêtir de formes attrayantes ; mais des innovations de cette espèce eussent été mal venues à la cour, où l’imitation italienne faisait loi, où les artistes français surnommés à tour de rôle « les Romains » avaient seuls le privilège du succès et en quelque façon droit de cité. Aussi les peintres de genre ou, comme on disait dédaigneusement, de bambochades continuaient-ils à vivre et à travailler loin de Paris. Ce ne fut qu’à la fin du règne de Louis XIV et pendant les premières années de la régence qu’ils se hasardèrent à importer dans la capitale un art plus humble, mais beaucoup plus indépendant, et le public, fatigué de ce qu’on appelait alors « le grand style, » accueillit avec faveur d’abord, bientôt avec transport, des œuvres qui le délassaient du spectacle monotone qu’on lui avait imposé pendant un demi-siècle. La peinture de paysage se ressentit forcément d’un mouvement d’idées si général : à l’exemple des peintres de genre, les paysagistes s’affranchirent du joug académique, mais pour retomber, par un autre excès, dans l’esprit de système, et ils ne réussirent ainsi à changer que les formes de la convention. On vit encore les hommes et leurs actions figurer en première ligne dans leurs tableaux, mais des actions fort peu héroïques, des personnages de fantaisie comme la nature qui les entourait. Phocion fait place à Mezzetin, Orphée à Scaramouche ; l’admiration qu’avait inspirée jadis le Débarquement de Cléopâtre se reporte sur l’Embarquement pour l’île de Cythère, et les séductions d’une muse fardée triomphent des graces sévères de la muse de Poussin et de Claude Lorrain.

Watteau est, sans contredit, le plus remarquable de ces peintres voués au culte de l’art sensuel et de la fantaisie galante qui apparurent au commencement du XVIIIe siècle. À ne le prendre ici que comme paysagiste, on peut dire de lui à peu près ce que Voltaire disait du poète Chaulieu et lui assigner la première place parmi les talens négligés. Ses tableaux, où ne circule plus le souffle du dieu, trahissent du moins l’influence de la fée, et le charme vague dont ils sont empreints plaît à l’imagination sans élever le cœur ni satisfaire pleinement l’esprit ; ils semblent être l’expression du caprice plutôt que le fruit de la méditation, et le laisser-aller de l’improvisation s’y découvre à première vue ; pourtant il est facile d’y démêler les traces d’un sentiment délicat, artiste même dans ses écarts, et une élégance de style sans laquelle cette affectation deviendrait insoutenable. Watteau, dit-on, passa une partie de sa vie dans les coulisses de la comédie italienne et dans l’intimité des actrices à la mode : à en juger par les types qu’il a choisis pour la plupart de ses compositions, rien de moins invraisemblable ;