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de cinq ou six vendeurs de poisson salé qui se disputent la faveur du public. Celui qui s’époumonne à débiter les turlupinades les plus comiques arrive à placer quelques morceaux de morue ou quelques anguilles fumées avidement reçues par les enfans, les jeunes filles et les militaires. — L’anguille fumée est un régal délicat, seulement il faut s’habituer au goût de suie qui en parfume la peau. Il y en a de toutes les tailles, depuis un cents (2 centimes) jusqu’à 10 cents.

Au-delà de la porte, il n’y avait qu’à choisir entre une grande rue de guinguettes, de cirques et de barraques consacrées à divers exercices, et une autre plus étroite qui bordait un vaste bassin au milieu duquel se trouve une île ronde habitée par des cygnes. À peine pouvait-on voir par échappées, sur l’autre bord, les toits solennels du grand palais des États reflétant dans l’eau leurs teintes plombées des pâles rayons de la lune. Mais que d’éclat, que de vie, que de mouvement dans cette rue improvisée ! Pour tout dire en deux mots, la kermesse hollandaise, c’est une ville en bois dans une ville en briques. Les grandes rues, les larges places, les promenades, s’effacent pour représenter l’aspect tumultueux d’une capitale immense, — et leur attitude, ordinairement paisible, n’est plus qu’un cadre obscur qui raffermit l’effet de ces décorations inouies. — Il y avait dans cette rue une centaine de maisons, très solidement établies, peintes, vernies et dorées, qui m’ont rappelé l’aspect des plus belles rues de Stamboul pendant les nuits du Rhamazan. Toutes avaient au dedans la même disposition : une salle assez grande, éclairée par des lustres de cristaux et des bras dorés, — meublée de cabinets de laque et de bois des îles surmontés de pots de porcelaine et de chinoiseries diverses ; — au fond, un vitrail de verres de couleur ; des deux côtés, quatre cabinets en forme d’alcôve, dont le cintre extérieur est soutenu par des colonnes, et qui sont garnis de rideaux en toile de Perse, eu brocatelle ou en velours d’Utrecht. À l’entrée trône la maîtresse de l’établissement sur un fauteuil élevé, d’où elle préside d’un air solennel à la confection de certains gâteaux de crême frite qui ont la forme de gros macarons. À ses pieds est une grande plaque de cuivre cent les bossuages donnent à cette pâtisserie la forme nécessaire. Tenant une longue cuiller avec la majesté de la déesse Hérée, elle distribue la pâte blanche dans plusieurs séries de petites cases rondes, chauffées au-dessous par la flamme d’un grand brasier. À ses côtés brillent d’immenses coquemards en cuivre jaune, aux anses sculptées, qui ne sont sans doute là que pour l’ornement. — Ce qui frappe encore plus l’étranger qui passe, c’est que chacun de ces cafés est desservi par trois ou quatre jeunes filles frisonnes qui, avec leurs casques d’or, leurs dentelles et leurs jupes du moyen-âge se précipitent sur le passant en criant : « Dis donc, monsieurl » L’une vous enlève votre chapeau, l’autre votre manteau, la