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dans une grande rue où l’esprit français a encore pénétré ce sont deux lignes de magasins splendides, qu’on ne s’attendrait pas à rencontrer tout près d’un vaste canal qui suit parallèlement les jardins situés derrière. Les plates-bandes de tulipes égaient toujours les carrés de verdure découpés par des ruisseaux d’eau verte qui s’argentent ou se dorent aux derniers reflets du soleil couchant. C’est le printemps encore, tandis que Paris doit être en proie à l’été. Les maisons, peintes de toutes les nuances possibles du vert, depuis le vert-pomme jusqu’au vert-bouteille, se doublent dans ces eaux paisibles, comme le château du Gascon. — qui s’imagine alors qu’il en possède deux.

Le port de Saardam n’est pas non plus à dédaigner… Déjà la cloche nous appelle, et nous n’avons que le temps d’admirer la sérénité de ces rivages et de ces eaux, où dorment les lourds bateaux à voiles qui de temps en temps se réveillent pour faire le grand voyage des Indes.


V. – HET REMBRANTZ FEEST.

O Érasme ! — dont je porte humblement le nom traduit du grec, inspire-moi les termes choisis et nécessaires pour rendre l’impression que m’a causée Amsterdam au retour. Les lumières étincelaient comme les étoiles dorées dont parlent les ballades allemandes. Toi qui as fait l’éloge de la folie, tu comprendras le ravissement que j’ai éprouvé en voyant toute la ville en fête à la veille de l’érection officielle de la statue de Rembrandt. Le gouvernement n’accordait qu’un jour, mais le peuple en voulait au moins trois. On se réjouissait d’avance dans les gastoffs et dans les musicos. J’ai trouvé à la porte d’un de ces derniers une femme qui représentait très sincèrement l’image de la Folie dont Holbein a orné tes pages savantes. — C’était encore, si l’on veut, « Calliope longue et pure, » charmant de ses accords la foule assemblée dans un carrefour. Son violon, poudré au milieu par la colophane, exécutait des airs anciens d’un mauvais goût sublime. En me voyant, cette femme eut l’intuition de ma nationalité, et joua aussitôt la Marseillaise. La foule sympathique répétait le chœur en langue flamande. — Il est naturel du reste qu’on accueille bien les étrangers qui viennent assister à une fête artistique.

Le lendemain, toutes les maisons étaient pavoisées, ainsi que les vaisseaux du port ; le canon retentissait pour marquer les pas du temps, — si précieux ce jour-là, — et les guirlandes de fleurs et de ramées s’étendaient le long de la grande rue jusqu’au Marktplein.

Il ne faut pas trop s’étonner de voir Rembrandt logé sur le Marché-au-beurre, puisque nous n’avons pu obtenir pour Molière, à Paris, qu’une encoignure entre deux rues, servant de fontaine, et livrée aux porteurs d’eau de l’Auvergne, qui me rappellent cette belle phrase de