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d’art, qu’importe ? Nous ne nous méprenons pas au surplus, c’est à l’intelligence surtout de faire beaucoup pour elle-même : elle a partagé les destinées communes depuis quelques années ; elle est visiblement en proie à un travail de transition. Il y a des tendances épuisées, il y a des instincts qui renaissent, il y a des besoins qui se font sentir et des élémens nouveaux d’inspiration qui se révèlent. C’est au milieu de ce mouvement que les esprits virils, que les jeunes intelligences surtout dont le jour vient, ont à se diriger. Les uns et les autres sont tenus à coup sûr aujourd’hui à de vigoureux efforts pour réveiller l’attention publique, et où peuvent-ils trouver la nouveauté si ce n’est dans l’observation des règles de l’art, dans la pureté de l’inspiration, dans le respect des traditions du bon sens et du goût, en mot dans tout ce qui est fait pour relever et fortifier la pensée littéraire ? Il reste certainement encore à poursuivre, dans l’imagination comme dans l’histoire, dans la poésie comme dans la critique, une multitude de tentatives qui peuvent former une sorte de littérature renaissante.

Sans doute les œuvres sérieuses n’abondent point autour de nous ; les moins rares encore sont des travaux d’investigation critique et d’histoire littéraire, comme le livre récent de M. Drouilhet de Sigalas sur l’art en Italie, sur Dante et la Divine Comédie. Après les innombrables études dont le grand Florentin a été l’objet, celle-ci réussit à se distinguer par l’abondance des recherches et l’habileté avec lequel tous ces élémens sont coordonnés. L’auteur se sera répété sans doute, en abordant son héros, ce mot de Montesquieu, qui résume tous les commentaires : « Parlons-en à notre aise ! » Il a recomposé de son mieux la figure et l’époque, suivant l’auteur de la Divine Comédie dans sa vie comme dans son œuvre. Il faut savoir gré surtout au nouveau commentateur d’avoir laissé à toute cette existence de Dante, aux passions qui la troublent, aux amours qui l’enflamment, aux malheurs qui la remplissent d’amertume, ce caractère de réalité qu’un symbolisme singulier a prétendu quelquefois faire disparaître. C’est là ce qui donne plus de vie et d’intérêt à son travail. Un des côtés les plus caractéristiques de la vie de Dante, que M. Drouilhet de Sigalas indique dans son ouvrage, ce serait l’histoire de sa gloire et de son influence dans le monde de la pensée. Faite au point de vue de la France seulement, cette histoire pourrait offrir la mesure du développement des idées littéraires parmi nous. Il y a un demi-siècle, Dante n’était point connu et n’avait exercé aucune action sur les esprits en France. Aujourd’hui sa gloire est presque la nôtre ; sa poésie est commentée dans les chaires comme dans les livres. Ainsi, en définitive, dans les transformations intellectuelles, à travers bien des excès et bien des imitations sans durée, il reste un fonds réel de richesses acquises. L’intelligence étend son domaine et arrive à mieux comprendre les manifestations les plus diverses de l’ame humaine ; elle s’agrandit au contact de Dante ou de Shakspeare, de Cervantes ou de Tasse. L’essentiel, c’est que, dans cette assimilation permanente des plus grandes inspirations, elle n’abdique point son indépendance, ses qualités natives. Il faut que, dans ce travail, il se retrouve toujours quelque chose de cet esprit de Pascal, dont M. Havet vient de réunir de nouveau les Pensées, en leur consacrant, lui aussi, son commentaire. M. Havet a fait de l’auteur des Provinciales une étude approfondie ; il a scruté le mystère de sa pensée restée incomplète et le travail