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ces compositions désordonnées quelques-unes de celles qui les ont précédées ou suivies, les défauts volontaires de Vernet ressortiront nettement de la comparaison. Ainsi l’ensemble de son œuvre a un caractère de simplicité élégante et de sérénité ; le goût de la modération, une sorte de vivacité contenue, quelque chose d’adouci et de ménagé, telles sont, à ce qu’il semble, les marques distinctives de ce talent ; on les retrouve même dans la représentation des scènes terribles de la nature, et il n’est pas jusqu’aux Tempêtes de Vernet qui ne révèlent les dispositions et les habitudes de son esprit moins puissant qu’ingénieux. Si, au contraire, on s’arrête à considérer les paysages où l’imitateur de Salvator Rosa a voulu se démentir lui-même et faire montre de force avant tout, qu’y découvre-t-on ? Rien de plus qu’une audace systématique et de vaines exagérations. La recherche de la grandeur n’y aboutit qu’à l’étrangeté, en donnant aux masses et aux détails un aspect prétentieux et difforme. Ce ne sont que roches aux contours excessifs, terrains agités comme des vagues, arbres noueux et rabougris : il semble que Vernet ait eu, à cette époque de sa vie, l’horreur de la végétation saine et en général de tout ce qui exprime dans la nature un développement régulier. Les figures mêmes, qu’il indiqua ailleurs avec tant de sincérité et d’esprit, ont ici une tournure exceptionnelle, une laideur tourmentée que ne saurait motiver suffisamment le caractère des lieux où elles se trouvent ; parce que tel pêcheur placé au premier plan jette sa ligne dans des eaux impétueuses, s’ensuit-il qu’il doive prendre cette pose farouche et revêtir l’apparence d’un bandit ?

En sacrifiant ainsi son propre sentiment à la volonté de copier un modèle, Joseph Vernet avait retardé quelque peu les progrès de son talent, mais sa renommée ne s’en était que plus rapidement accrue. Les Italiens, ordinairement si lents à rendre justice au mérite des artistes étrangers, et qui, à cette époque, hésitaient encore à pardonner au grand Poussin son origine française, ne firent point difficulté d’applaudir aux productions de son compatriote. L’admiration fut d’autant plus grande que l’orgueil national s’y trouva jusqu’à un certain point intéressé ; on vit, dans ces paysages inspirés par les exemples d’un Italien, un hommage rendu à l’excellence de l’école, et le succès qui accueillit les tableaux de Vernet confirma et rajeunit la gloire de Salvator Rosa. L’avenir du nouveau maître fut dès-lors assuré. En Italie, lorsque la réputation est une fois acquise à un nom, il n’y a plus à craindre ni retours prochains d’opinion, ni reviremens de faveur. Quoi qu’il survienne, l’homme qui le porte demeure invariablement illustre jusqu’à sa mort, et, quitte à rétracter alors un enthousiasme de convention, on accepte provisoirement, comme étant de droit