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« monsieur Niccolò[1], » on ne se faisait pas scrupule d’accorder au Vernet les honneurs de la naturalisation italienne. Dans les salons comme dans les ateliers, on le traitait en homme du premier rang ; son opinion faisait autorité dans tout ce qui de près ou de loin se rattachait aux arts, depuis les embellissemens des palais jusqu’à l’ordonnance des fêtes publiques, jusqu’à la composition des feux d’artifice. Les admirateurs de la girandola qu’on tire chaque année au château Saint-Ange ignorent peut-être que l’éclat incomparable de ce spectacle est dû en grande partie à l’imagination de Vernet. C’est lui qui s’avisa de doubler le volume de cette gerbe de feu et d’ajouter à la girandole primitive un nombre de fusées devenu aujourd’hui traditionnel. En outre, comme il manquait, suivant son expression, « une basse » à ce concert de détonations, il voulut que le canon en fît l’office : les décharges de l’artillerie devinrent l’accompagnement nécessaire de tout feu d’artifice en Italie, et le succès de ces innovations s’étant répandu dans toute l’Europe, il s’ensuivit dans l’art de la pyrotechnie une révolution dont l’honneur appartient à Vernet, et qu’il est juste de lui restituer, si mince ou si secondaire qu’il soit.

Retenu à Rome par les travaux qui lui étaient confiés, par ses liaisons avec des personnages de tous les rangs, par les témoignages de considération que lui attiraient chaque jour ses talens et son brillant esprit, Joseph Vernet prolongeait d’année en année le séjour qu’il s’était proposé d’y faire. Son mariage avec Mlle Parker, fille d’un officier de la marine du pape, venait de resserrer encore les liens qui l’attachaient à sa patrie d’adoption, où il menait la vie laborieuse d’un artiste et le train d’un homme à la mode. Par un privilège devenu ensuite héréditaire dans sa famille, il pouvait se recueillir au milieu de la foule de visiteurs qui remplissait son atelier, et, tout en se mêlant à la conversation générale, exécuter en quelques heures tel morceau de peinture qu’un autre n’eût réussi à produire que dans la solitude et en plusieurs jours de travail assidu. Un de ses principes était « qu’un ciel commencé après le repas du matin devait être terminé avant l’heure du dîner, » et il est certain que ses ciels les plus compliqués de détails ont été peints dans ce court espace de temps. Si la tradition ne suffisait pas pour autoriser cette certitude, une étude attentive des tableaux de Vernet ne laisserait aucun doute sur sa manière rapide de procéder. La fraîcheur d’exécution, la limpidité d’effet que conservent encore les toiles qu’il a signées sont dues évidemment à l’absence de

  1. L’usage de désigner ainsi les peintres français, à quelque époque qu’ils appartiennent, s’est maintenu en. Italie. Aujourd’hui encore les catalogues des tableaux exposés dans les diverses galeries refusent en quelque sorte droit de cité aux ouvres des peintres de notre ancienne école, et ce mot de monsieur y précède les noms de Sébastien Bourdon, de Valentin, etc., aussi bien que les noms des peintres de notre école moderne.