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de juillet la réduisit à 10 pour 100 : le décret du 17 mars la relève à son taux primitif. Ainsi qu’un aubergiste de petite ville achète un hectolitre de vin au prix de 10 fr. ; d’une part les taxes de timbre, d’entrée et d’octroi qui lui coûteront au moins 2 fr., et d’autre part les frais de transport, de loyer, de garde, de mise en bouteilles, de matériel, d’éclairage, le coulage de la marchandise, les crédits qu’il faut faire, l’obligation de se déranger peut-être deux cents fois pour verser 100 litres, porteront aisément le prix du détail à 40 fr. Les 15 pour 100 prélevés sur ce dernier chiffre donnent donc 6 fr., qui, ajoutés aux 2 fr. déjà payés, portent le total de l’impôt à 8 fr. sur une marchandise du prix intrinsèque de 10 fr.

Le gouvernement ne s’abuse pas sur la portée du changement qu’il opère. Il veut, dit-il, grever la consommation de cabaret pour provoquer les consommations de famille, et c’est pour que les pauvres puissent s’approvisionner et boire dans leur intérieur sans payer le droit de détail, qu’il a abaissé à 25 litres la limite de ce que l’on considère comme la vente en gros. L’intention est excellente. Sera-t-elle bien efficace ?

Si le commerce des vins était libre comme les autres, s’il suffisait, pour acheter, d’aller argent en main chez le vigneron, le nombre des cabarets ne tarderait pas à être réduit des trois quarts ; mais, encore une fois, il n’en est pas ainsi. Tant qu’on prétendra conserver le droit de détail, il sera nécessaire de surveiller rigoureusement les ventes en gros. Pour acheter 25 litres, comme pour acheter 25 pièces, il faudra se munir d’une expédition timbrée, payer le droit de circulation, et subir les formalités qui permettent à la régie de constater les fraudes. Nous avons laissé entrevoir que dans les villes non abonnées (les autres sont désintéressées dans la question) les consommations de famille pourront se multiplier, parce qu’il sera facile de se mettre en règle ; mais, dans les deux tiers des communes rurales, la régie n’a pas d’agens. Voici donc un paysan, pauvre et économe, qui se dispose à profiter des bénéfices de la loi. Pour acheter dans son propre village 25 litres de boisson, qui valent 2 fr., il faut qu’il aille à huit ou dix kilomètres peut-être pour faire sa déclaration et payer les droits c’est un déboursé de 50 centimes au moins et une demi-journée perdue. Ce n’est pas tout : la denrée sera soumise au droit de visite pendant le transport, avec des chances innombrables de contraventions et de procès-verbaux. Chemin faisant, il a répandu par accident une partie du liquide, la quantité trouvée n’est plus conforme à l’énoncé de l’expédition : procès-verbal ; il ne peut plus représenter son congé, qui est égaré : procès-verbal ; il entre chemin faisant dans une maison où il dépose son fardeau : procès-verbal. Il serait trop long d’énumérer