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La mort d’Attila, en même temps qu’elle jetait dans l’empire d’Occident une foule de peuples déplacés et sans patrie, devint pour lui comme le signal d’une dissolution intérieure. J’ai dit plus haut que l’Occident ébranlé, disloqué, ne se maintenait plus que par le génie d’Aëtius ; Aëtius lui-même tirait sa force et sa nécessité d’Attila, suspendu vingt ans comme un épouvantail sur le monde romain. Quand cette menace cessa, l’empire et l’empereur respirèrent, et Valentinien n’eut plus qu’un désir, celui d’être délivré aussi d’Aëtius. D’ailleurs la dernière campagne avait bien diminué l’importance du patrice Rome savait maintenant par expérience qu’elle n’avait pas besoin de l’épée pour se sauver, et que la bassesse suffisait.

Les ennemis d’Aëtius se remirent donc à l’œuvre avec plus d’ensemble que jamais : on tourna contre lui les cruelles nécessités de la guerre qui venait de finir, la ruine d’Aquilée et l’abandon de la Transpadane ; on lui imputa à crime l’inaction forcée dans laquelle il s’était trouvé ; on nia ses talens, on répéta de toutes parts ce que nous lisons dans Prosper d’Aquitaine, savoir, que le patrice n’avait plus montré en Italie l’habileté militaire dont il avait fait preuve en Gaule. — Ainsi le refroidissement public conspirait contre ce grand homme, le dernier des Romains, avec les sourdes machinations des eunuques du palais et la haine mal cachée de Valentinien ; lui, toujours aveugle et confiant, ne voyait rien ou ne voulait rien voir. Valentinien lui avait promis autrefois de lier leurs deux familles par le mariage d’Eudoxie et de Gaudentius : quand le patrice vint réclamer l’exécution de cet engagement, l’empereur se moqua de lui et le promena de délai en délai. Aëtius se plaignit avec hauteur. Un jour qu’on avait écarté à dessein ses plus fidèles amis, on le fit tomber dans un guet-apens infâme, et Valentinien se donna le plaisir de le frapper lui-même de son épée. Ce crime eut lieu en 454 ; en 455, Valentinien périt à son tour, victime de sa perfidie et de ses débauches ; trois mois après, Genséric mettait Rome au pillage.

On peut dire que, depuis la mort d’Aëtius, il n’y eut plus d’empereurs d’Occident ; les Césars éphémères qui endossèrent encore la pourpre ne furent que des lieutenans de patrices barbares, qui les élevaient, les déposaient, les tuaient suivant leur caprice. Les Barbares étaient partout en Occident, individuellement ou en masse ; ils avaient le gouvernement ; il leur fallut bientôt la terre.

La cour d’Attila avait été une pépinière d’aventuriers mêlés à ses entreprises de politique ou de guerre : gens actifs, énergiques, avides d’argent et de jouissances, ils prirent presque tous parti dans les troubles de la seconde moitié du Ve siècle, apportant en Italie, soit comme ennemis soit comme amis des Romains, les facultés et les appétits qu’ils avaient puisés près de l’empereur de la Barbarie. Ainsi nous