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Venise, incline à croire que ce fut un emprunt fait aux Arabes, et ce qui tranche la question en sa faveur, c’est que ce genre de versification se rencontre dans le poème de Grégoire Makisdros, qui mourut en 1058 et qui fut par conséquent antérieur de près d’un demi-siècle aux guerres saintes de la Palestine.

Quoique nous ne possédions maintenant que de faibles débris des ballades arméniennes, il est possible cependant de constater que la muse populaire avait consacré un certain nombre de types à chacun desquels se rattachait un ordre ou série de chants. Haïg, le glorieux fondateur de la monarchie, Tigrane Ier, l’un de ses successeurs immédiats, vainqueur d’Astyage, roi des Mèdes, Artaxès II, qui brilla parmi les Arsacides, et son fils Artabaze à la destinée si tragique, tels sont les héros du cycle national ou arménien. Un second cycle, que j’appellerai assyrien, comprenait le règne long et éclatant de Sémiramis. Les légendes de la Perse et celles surtout du roi Piourasb Astyage[1], si célèbre dans le Schah-Nameh de Firdoussy sous le nom de Zohak, composaient un troisième cycle que je distinguerai par la dénomination de médo-perse. On aime à voir apparaître, sous les traits que leur prêtait la tradition dans l’Orient et telles que les Arméniens nous les ont conservées, la grande figure de la reine des Assyriens et celle de l’aïeul de Cyrus, du Mède Astyage, et à les envisager sous un point de vue si différent de celui où nous placent les historiens grecs.

La poésie populaire arménienne comportait trois genres, diversifiés soit par la nature du sujet auquel chacun d’eux était adapté, soit par une variété particulière du rhythme ou de la mesure. Les expressions par lesquelles Moïse de Khorène désigne ces trois catégories de chants sont extrêmement obscures, et on peut conjecturer que déjà de son temps elles n’avaient plus qu’une signification archaïque. On ne saurait les éclaircir qu’à l’aide d’un commentaire philologique qui ne saurait trouver place ici, et dont je me bornerai à noter les aperçus essentiels. Les chants appelés Ierk Vibaçanatz ou historiques étaient destinés, comme leur nom tend à le faire supposer, à célébrer des faits et des personnages réels sans repousser toutefois la fiction, de la même manière que l’épopée et la tragédie, dont les anciens nous ont laissé le modèle, reposent sur une donnée vraie au fond, mais présentée dans un cadre agrandi ou embelli par l’imagination du poète. Ces chants furent appliqués principalement aux traditions épiques et durent avoir quelque ressemblance avec les romances chevaleresques de l’Espagne ou les ballades héroïques de la Servie. Pour comprendre ce qu’étaient les Ierk

  1. Il ne faut pas confondre Piourasb Astyage, souverain de la Perse, que Moïse de Khorène dit avoir vécu sous la domination de Nimrod, et qui était de race sémitique, avec Astyage, fils de Cyaxare, dernier roi des Mèdes, dans le VIe siècle avant notre ère.