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roi Artaxès aurait-il jamais assez de trésors à m’offrir en retour de la noble vierge des Alains ! »

Le mariage se conclut. Voici maintenant comment le poète a transformé les circonstances du récit qui précède :

Le vaillant roi Artaxès, monté sur un beau coursier noir,
Tira une longe garnie d’anneaux d’or et faite de cuir rouge,
Et, prompt comme l’aigle au vol rapide, il franchit le fleuve,
Et lança cette longe garnie d’anneaux d’or et faite de cuir rouge[1]
Autour du corps de la vierge des Alains.
Serrant dans une douloureuse étreinte la taille de cette tendre jeune fille,
Il l’entraîna avec rapidité dans son camp.

Cette royale union avait inspiré aussi les deux vers suivans, que l’on chantait en mode d’épithalame et où il est fait allusion à la coutume qu’avaient les rois arméniens, lors de leur mariage, d’aller à la porte de leur palais jeter des pièces de monnaie, à la manière des consuls romains, et les reines de répandre des perles dans leur chambre nuptiale.

Une pluie d’or tombait au mariage d’Artaxès ;
Une pluie de perles tombait aux noces de Sathinig[2]

Nous devons à un auteur arménien que j’ai déjà eu l’occasion de citer, le prince Grégoire Makisdros, la conservation d’un fragment de poésie qui s’était maintenu jusqu’à lui dans la tradition populaire et qu’il a inséré dans une de ses lettres. Le naturel de la pensée et l’élégance avec laquelle elle est rendue autorisent à croire que c’est là un débris des chants du pays de Koghten. Le poète met dans la bouche d’Artaxès mourant ces mélancoliques regrets de la vie qui lui échappe :

Oh ! qui me rendra la fumée de mon foyer,
Et le joyeux matin de Navassart[3] ?
Et l’élan des cerfs et la légèreté
Des biches ? — Nous faisions retentir les trompettes ;
Suivant l’usage des rois, nous faisions résonner les tambours.

  1. Les Alains, remarque l’historien arménien, avaient un goût prononcé pour la peau rouge, et, comme Artaxès donna une grande quantité de peaux de cette couleur pour former la dot de Sathinig, cette circonstance a suggéré l’allégorie de la longe de cuir rouge ornée d’anneaux d’or, dont il est ici question.
  2. On a coutume encore, dans quelques parties de l’Arménie, de jeter en l’air des pièces de monnaie au-dessus de la mariée au moment où elle arrive de l’église à la maison de l’époux. Cet usage existe aussi à Constantinople, et il se reproduisit notamment en 1834 à la cérémonie de la célébration du mariage de M. le chevalier Duz-Oglou, l’un des plus riches Arméniens de cette ville et directeur de la monnaie de l’empire ottoman.
  3. Dans l’ancien calendrier arménien, le premier mois de l’année, Navassart, tombait à l’équinoxe du printemps. Le premier jour de ce mois était célébré, comme le Neurouz chez les Persans, par des fêtes et des réjouissances publiques.