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mais on n’en confondra pas plus pour cela l’économie politique, science expérimentale découvrant par l’observation les lois de la richesse, avec l’économie pratique, art fondé sur la connaissance des lois révélées par la science, qu’on ne confond la médecine avec la physiologie.

On voit la méprise de M. Mill et de l’école anglaise. C’est en vérité peu de chose qu’une méprise pour justifier une entreprise aussi hardie que de changer la route naturelle d’une science ; mais personne ne s’en étonnera. Une telle conduite est ordinaire aux systématiques. Tout entiers à leurs idées qu’ils regardent comme la vérité même, ils se préoccupent beaucoup plus de les répandre que de les approfondir ; ils enseignent, ils affirment, mais ils démontrent peu. Ainsi font les économistes spéculatifs. Cette méthode jusqu’ici leur a trop bien réussi sans doute pour qu’ils songent à s’en départir. La politique des novateurs est d’imposer leurs principes et de ne pas les discuter ; ç’a été jusqu’ici le secret du succès de l’économie spéculative : ne serait-ce pas aussi celui de sa faiblesse ? Dans le silence à peu près absolu que gardent ses maîtres sur ce point si essentiel pourtant de la légitimité de sa théorie, c’est ce que chacun est fondé à examiner.

L’économie spéculative part d’une double abstraction. Par la première, elle mutile arbitrairement le premier et le plus respectable objet de ses études, le producteur et le consommateur par excellence de la richesse, l’homme ; par la seconde, elle supprime les deux plus grandes lois physiques de l’univers et la loi historique la plus importante de l’existence de l’humanité : l’espace et le temps d’une part, l’esprit de nationalité de l’autre. Elle nous propose d’abord d’étudier la production de la richesse indépendamment et abstraction faite de la nature de l’élément producteur. Comment ! sans examiner si cet élément est un homme ou une pompe à feu, un cheval ou un enfant, une charrue ou une femme ! Oui. De même pour le capital. Ce capital est-il une machine, un bâtiment de ferme, une poignée de billets de banque ou le pinceau de Titien ? Peu importe en économie spéculative. Et ainsi de tous les autres élémens économiques. Mais, sans examiner encore, — examen auquel nous viendrons plus loin, — les conséquences pratiques d’une abstraction pareille, comment est-il possible d’arriver à découvrir les véritables lois qui régissent la richesse en mutilant ainsi jusqu’à la notion même de ses agens producteurs ? Les lois de production d’une machine, d’un animal ou d’un homme, d’un être brut, d’un être sensible et d’un être moral, peuvent-elles être identiques ? Une poignée de billets de banque a-t-elle les mêmes vertus et partant le même usage économique qu’un bâtiment d’exploitation ou le génie d’un artiste ? Cela ne se soutient pas. Ces abstractions sont des mutilations ; elles défigurent la nature, et à priori on peut déjà pressentir qu’il sera impossible de tirer de l’étude d’une nature ainsi faussée autre chose que des conclusions fausses comme elle. Quant à la