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en outre du climat du pays, de la qualité du terrain, de sa situation, de sa grandeur, du génie du peuple, pacifique ou guerrier, primitif ou policé, du genre de vie de ce même peuple, suivant qu’il est insulaire, continental, chasseur, pasteur, laboureur, industriel, commerçant, financier ; la constitution sociale et politique, les traditions, les lois, les mœurs, les habitudes de toute sorte influent encore sur la tendance particulière des intérêts nationaux, voilà un troisième fait. Eh bien ! c’est de ces trois ordres de faits et de l’ordre triple de considérations qui y correspondent, c’est de l’étude de l’univers en un mot, tel que la nature et l’histoire le montrent, divisé d’intérêts, labouré de passions, frémissant de mille sentimens contraires, des plus élevés aux moins nobles, respirant à la fois et contradictoirement le bien-être et la guerre, la jouissance et le changement, la destruction et la création, c’est de l’étude de cet univers observé dans l’ensemble entier de ses phénomènes que doit sortir la connaissance des lois économiques, particulières et générales, transitoires et immuables, qui y gouvernent la production et la distribution de la richesse.

C’est au prix seul de cette réconciliation avec l’expérience, l’histoire, la morale et la politique, que la science économique retrouvera sa certitude et son autorité. Quelles ont été en effet les conséquences de son trop long divorce avec l’étude des faits ? Nous l’avons vu, faute de consulter l’observation, elle s’est perdue dans des chimères ; en négligeant l’histoire, elle a défiguré la nature ; en ne tenant pas compte de la morale, elle a outragé l’humanité ; en méprisant la politique, elle s’est asservie à la politique d’un seul peuple. Il est temps de rompre avec d’aussi fausses tendances, il est temps de rendre à la réalité, dans les études économiques, la place usurpée sur elle par la fiction, il est temps surtout de restituer à la considération des lois morales et des intérêts nationaux dans les préoccupations des économistes de tous les pays la place qu’ils n’auraient jamais dû y perdre. Science expérimentale par excellence, ce n’est pas un seul ordre d’intérêts que l’économie politique doit envisager ; ce n’est pas au point de vue des avantages d’un seul peuple qu’elle doit se placer ; ce n’est pas sous l’angle étroit d’un système préconçu qui mutile à la fois l’univers et l’humanité qu’elle doit se représenter les lieux, les hommes et les choses elle doit prendre choses, hommes et lieux tout entiers, tels qu’ils sont, et embrasser également dans la vaste impartialité de ses études les intérêts de tous les peuples et tous les ordres d’intérêts. Le titre du bel ouvrage d’Adam Smith, en y ajoutant un seul mot, Recherches sur la nature et les causes comparées de la richesse des nations, pourrait servir de programme à la réforme de l’économie politique dont cet écrit, pensons-nous, a démontré la nécessité, et dont les erreurs de plus en plus éclatantes de l’école anglaise proclament chaque jour l’urgence.