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besoins, de passions qui, chez elle comme chez l’individu, forme les mobiles de la vie active. Puis viennent l’imagination et la raison, qui se partagent son histoire. Dans la jeunesse du monde, la raison ne sait rien ; l’imagination est maîtresse, et, par son heureuse hardiesse, crée les institutions sous lesquelles le genre humain se développe, la raison ne servant qu’à régulariser ce qui est ainsi spontanément fourni. Plus tard, et à fur et mesure, la raison empiète, et finalement tend à prendre le dessus et à tout reformer, l’imagination ne servant plus qu’à embellir ce qui a été ainsi laborieusement trouvé. Pour que la raison arrive à ce terme, il faut que la science, de particulière, devienne pleinement générale, si bien que, par exemple, l’astronomie, dont il a été ici surtout question, ne soit plus qu’un échelon pour monter au dernier degré, d’où le coup-d’œil embrasse l’ensemble des choses depuis les plus simples notions, qui sont celles de la mathématique, jusqu’aux plus compliquées, qui sont celles des sociétés et de leur histoire. En toute catégorie de phénomènes, les lois naturelles se substituent dans l’esprit humain aux conceptions primitives, qui supposaient des volontés et des intentions. De la sorte une vérité nouvelle s’établit parmi les hommes, et, durant la chute, graduelle de l’ancienne et insuffisante vérité, devient capable de les rallier et de les astreindre, c’est-à-dire de fermer les révolutions. Une nouvelle beauté ; un nouvel idéal surgissent, car qu’est la vieille conception de l’ensemble des choses à côté de la conception moderne, d’autant plus sublime et plus inspiratrice qu’elle est plus réelle ? Une nouvelle moralité s’élève à son tour, dont on peut apprécier toute la portée en l’appelant la moralité de la paix et du travail par opposition à la moralité de la guerre et de la conquête. C’est par ce lent travail que l’humanité prend conscience d’elle-même et possession du monde : conscience d’elle-même, en entreprenant résolûment de modifier son existence sous la subordination aux lois naturelles qui la régissent ; possession du monde, en acquérant, par plus de science, plus de puissance. L’histoire a un but, et ce but est : rendre l’humanité plus puissante au dehors, meilleure au dedans.


E. LITTRÉ,

de l’Institut.