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lu avec l’attention qu’il mérite, encore moins ont pris la peine de vérifier les faits allégués. Je vais essayer d’examiner cette pièce le plus brièvement qu’il me sera possible, m’aidant tantôt des brochures publiées par M. Libri et ses amis, tantôt de documens qui m’ont été communiqués, mais n’avançant jamais rien sans l’avoir vérifié par moi-même.

D’abord, je dois vous dire quelques mots de l’esprit général et du ton, pour ainsi parler, dans lequel l’acte d’accusation est rédigé. Je vous avouerai qu’étranger à la littérature judiciaire, c’est la première pièce de ce genre que j’étudie. Cela vous expliquera peut-être pourquoi elle m’a causé tant de surprise, et cependant des gens bien informés me disent que c’est un morceau travaillé avec soin et dont les connaisseurs sont satisfaits. Pour moi, j’avais cru que lorsqu’on accusait un homme, on s’appliquait avant tout à découvrir des preuves positives de son crime ; qu’à cet effet on réunissait les témoignages et les pièces de conviction, après les avoir contrôlés sine ira et studio, qu’enfin on les exposait le plus clairement et le plus simplement possible. Cette méthode a vieilli, et la mode, si j’en juge par le morceau que j’ai sous les yeux, recherche surtout les effets et la couleur. Je serais tenté de croire qu’un acte d’accusation se rédige d’après les mêmes principes qu’un roman ou un mélodrame, où l’art, non la vérité, est la principale affaire. S’il en est ainsi, je crois avoir le droit de critiquer l’acte d’accusation contre M. Libri. Jadis j’ai fait des romans, et je ne sors pas de ma compétence en appréciant une œuvre d’imagination.

Aujourd’hui qu’on attache tant de prix à la mise en scène, l’auteur s’est cru obligé de nous offrir dès le début de son ouvrage un tableau du cabinet de M. Libri ; les couleurs sont vives, mais sont-elles bien choisies ? En effet, que trouve-t-on dans l’officine du prétendu voleur de livres ? « Des fers servant à l’imitation d’anciennes reliures, des volumes ayant subi ce genre de falsification, des modèles qui avaient été habilement calqués et reproduits, enfin des feuilles lavées et des caractères d’imprimerie. » Je ne dois point oublier ces deux notes mystérieuses, qu’on croirait échappées de la plume de l’empereur Soulouque, mais qu’on attribue à M. Libri, savoir : « N° 320. Arranger. Moi. Duru. – N° 148. Vigna, gratter délicatement le cachet. » Toute cette exposition s’adresse aux gens qui n’ont vu que des livres brochés et qui ne savent pas qu’on restaure des livres anciens. Appeler falsification l’art des Bauzonnet ! quelle hérésie pour un bibliophile ! Mais d’ailleurs pourquoi, dès son début, le juge se met-il en contradiction avec lui-même ? Si c’est un fait coupable que de restaurer des livres, pourquoi n’a-t-il pas fait arrêter MM. Duru et Vigna, notoirement atteints et convaincus d’avoir falsifié (ou réparé, c’est tout un)