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donner sa collection à la Bibliothèque nationale, n’aurait pas omis de citer une déposition confirmant cette offre, déposition faite par M. Guizot devant le juge d’instruction de Pont-l’Évêque. D’un autre côté, le moyen de croire qu’un élève de l’École des chartes écrive l’Epigrammatum Pamphyli, ou Pamphilii ! C’est là du latin de l’École de droit. Je le reconnais pour avoir passé une thèse où l’on me demanda : Quid est nuptiœ ? solécisme que je crois avoir rendu avec usure.

Il n’y a qu’un juge à qui puissent échapper des énormités comme celle-ci : M. Libri a vendu en 1847 une lettre de l’Arétin à Paul Manuce ; d’autre part, la bibliothèque de Montpellier a perdu une lettre de l’Arétin à Alde Manuce ; donc M. Libri l’a volée, syllogisme comparable à celui-ci : J’ai perdu mon chat, Jean a vendu un chien, donc Jean a pris mon chat. Il y a un dictionnaire historique à l’École des chartes, et les élèves de première année savent que Alde Manuce fut le père de Paul Manuce. Mais où le juge se révèle, c’est quand il dit : « Les lettres de l’Arétin sont très rares. » Un juge ne connaît de cet auteur que les sonnets. Les lettres sont si rares, qu’on n’en a encore publié que six volumes in-8e.

Il est toujours très dangereux de parler des choses qu’on n’a pas étudiées. M. Libri abuse de son érudition contre ses accusateurs lorsqu’ils s’avisent de discuter. Avez-vous lu, dans sa spirituelle lettre à M. Barthélemy Saint-Hilaire, l’épisode amusant du Catulle de Montpellier ? Je vais gâter l’histoire en l’abrégeant. La bibliothèque de Montpellier perd un Catulle des Alde valant bien è francs en condition ordinaire. Le juge saisit chez le libraire Franck un Catulle des Alde, d’une belle reliure ancienne, acheté à la vente de M. Libri, et brevitatis causa dit qu’on l’a trouvé au domicile de l’accusé. Le livre, ayant fait partie de la bibliothèque d u couvent de San-Giovanni in Canali de Plaisance, portait sur le titre cette inscription : Bibliothecoe S. I0, in Canalibus Placentiœ. N’ayant pas ses besicles sous la main, le juge lit : Bibliothecœ S. 10, in Casalibus Placentiœ. Il fait semblant de comprendre, et déclare que M. Libri s’est servi de vieille fonte (c’est-à-dire de caractères d’imprimerie) qui joue l’impression, dit-il (on le croit sans peine), afin de déguiser l’origine du livre, et faire croire qu’il avait été imprimé à Plaisance. Il est fâcheux qu’il n’ait pas tenté le mot à mot, et s’en soit tenu au sens général ; mais, tout transporté de sa découverte, après une longue discussion de tous les indices à charge, il s’écrie triomphant : De tels faits ne se discutent pas, ils s’exposent. M. Libri met toutes ces niaiseries sur le compte des élèves de l’École des chartes. Il eût mieux fait de se borner à dire, comme il fait après force plaisanteries, que son Catulle avait été acheté par lui à MM. Payne et Foss, lesquels le tenaient de M. Debure, comme il conste d’une facture qu’il produit. Travestissant un proverbe italien, il dit que ses experts ont