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arithmétique, que j’ai entre les mains une pièce qui prouve que M. Libri tenait cet opuscule, avec l’Adone, l’Ariosto herbolato et plusieurs autres également incriminés, de M. de Villenave, si connu parmi les bibliophiles, lequel n’en était pas le premier possesseur.

Le problème d’arithmétique que nous venons de résoudre m’encourage à vous en soumettre un autre, mais plus difficile. M. Libri aurait dérobé à Troyes un Matheolus sans date. La preuve du crime, c’est qu’on a trouvé chez lui un Matheolus lavé, attendant la reliure, sans date, s’il vous plaît, du moins l’acte d’accusation ne l’a pas découverte, car elle est à la fin du volume, consignée dans ces beaux vers :

Pour l’an que je fus mis en sens,
Retenez M et cinq cens,
Je vous prie, ostez en huict, etc.


Vous trouverez sans papier ni plume que le Matheolus de M. Libri est de 1492. J’aurais peut-être dû vous dire plus tôt que celui de Troyes est in-4o, et que le volume saisi par justice est un in-folio. Sans doute, le juge croit que M. Libri a des poches pour escamoter les in-folio ; mais tout le monde sait que les plus grandes poches connues, celles de feu M. Boulard, ne contenaient que des in-quarto. — Ce Matheolus donc, in-folio, non in-quarto, est cité comme taché par M. Brunet dans son Manuel ; il a été vendu en vente publique par M. Silvestre à M. Libri, avec mention des taches, et cette dernière circonstance explique pourquoi on lui a fait subir la falsification du lavage.

Ces dates d’édition, monsieur, sont une grosse affaire pour les bibliophiles. Les juges et les gens du monde croient que ce n’est rien, et ils ont grand tort. Par exemple, on accuse M. Libri d’avoir dérobé à Montpellier un Salluste des Alde, avec ce titre : Conjuratio Catilinae et bellum Jugurthinum, Venise, 1519, lequel livre n’a jamais existé. Je ne discuterai pas les J majuscules inconnus aux Alde, je vous renverrai aux annales de leur imprimerie, par Renouard, et vous pourrez vérifier vous-même qu’il n’existe pas de Salluste des Alde de 1519.

Il faut en dire autant d’un Sénèque de Rome, de 1475, que M. Libri est accusé d’avoir emporté de la Mazarine. On voit par le catalogue de cette bibliothèque qu’elle n’a jamais eu qu’un Sénèque de 1475, de Paris, lequel d’ailleurs n’a bougé du rayon dont il fait l’ornement.

La Mazarine a perdu, mais pour tout de bon, à ce qu’il paraît, un livre dont l’acte d’accusation estropie ainsi le titre : Cino da Pistoia et Buonaccorso da Montegnano. Lisez Montemagno. L’édition est de Rome, 1559, in-8o. Bien entendu, M. Libri l’a volé, car on trouve le même ouvrage sur son catalogue. Il est vrai que le volume qu’il possédait était in-12 et sans date. Ah ! la furia francese !

La même bibliothèque, j’y reviens sans cesse, parce que, grace à