Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’obligeance de ses conservateurs, les recherches y sont faciles, a perdu un opuscule intitulé : Macchiavelli compendio con fatti in Italia ne dieci anni, in-12. M. Libri a vendu un livre intitulé : Malclavelli florentini compendium decennii in Italia gestarum, ad viros Florentinos, incipit feliciter, in-8o. Voilà, direz-vous, deux ouvrages différens, dont l’un pourrait bien être la traduction de l’autre. — Non, monsieur, il y a identité ; donc il y a vol. Si bien que si je perdais un Virgile latin, je pourrais vous faire une mauvaise affaire, en prouvant que vous avez la traduction de Delille.

À chaque instant, on s’aperçoit que M. le juge, dans sa précipitation à saisir les premiers indices qui s’offrent à lui, ne prend pas la peine de lire en entier les titres des ouvrages ; de là des méprises fort singulières, dont son greffier a négligé de l’avertir. Exemple : la Mazarine perd un Rinaldo appassionato ; M. Libri a vendu un Rinaldo appassionato… Aussitôt variations sur l’air : Il y a identité, il y a vol. Je cherche aux deux catalogues : sur celui de la Mazarine, je trouve Rinaldo appassionato da Matt. Boiardo ; sur le catalogue de la vente de M. Libri Rinaldo… da Baldovinetti. M. le juge est homme à confondre la Pucelle de Chapelain avec celle de Voltaire. Je crois à la bonne foi quand même ; mais, lorsqu’on commet des étourderies semblables, il ne faut pas parler si haut de faits précisés, de recherches techniques, du contrôle le plus attentif et le plus sévère. Passe pour sévère ; mais attentif, ne le dites plus.

En effet, j’ai sans cesse à vous signaler le même genre de distractions, qui consiste à donner comme preuve de l’accusation un argument qui la réfute. C’est ainsi qu’à propos d’un manuscrit du Cortigiano qui a disparu de la bibliothèque de Carpentras, on rapproche ingénument une note de M. Libri qui le décrit comme une copie du temps, d’une autre note de M. Libri désignant un manuscrit cédé par lui à lord Ashburnham comme le manuscrit autographe de l’auteur, avec une reliure de Grolier. On se demande toujours pourquoi le juge d’instruction ne s’adressait pas à un libraire pour prendre des renseignemens. -Ce Cortigiano me rappelle l’allocution de Grippeminaud à Panurge : « Orça, encore n’advint depuis trois cents ans ença, orça, que personne eschappast de céans sans y laisser du poil, orça, ou de la peau le plus souvent, orça. » On avait accusé M. Libri d’avoir volé un exemplaire du Cortigiano à Carpentras, et malgré l’assurance que le livre était toujours dans la bibliothèque de cette ville, on eut cependant la curiosité de voir un autre exemplaire que M. Yemeniz avait acheté 519 francs à la vente de M. Libri. Le livre fut saisi, mais « cet ouvrage, placé sous triple cachet par le juge d’instruction de Lyon, parvint sur le bureau de l’un des employés du parquet, et disparut sans qu’on en ait trouvé trace. » Apparemment, c’est un des cachets qu’on espérait