Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après la révolution avait plus de 250,000 volumes, est réduite à 20,000 ; Haenel, qu’à Carpentras, deux mille manuscrits existaient en 1808, et qu’en 1826 il n’y en avait plus que 669, etc. Beaucoup de bibliothécaires, gens sur l’honneur de qui ne peut s’élever le plus léger soupçon, n’aiment pas cependant qu’on parle des pertes qu’ont subies les établissemens qu’ils dirigent. Souvent ils accueillent mal les curieux, voulant sans doute, pour me servir d’une expression célèbre, laver leur linge sale en famille. C’est bien pis lorsqu’on soupçonne ces curieux de faire des recherches sur le procès de M. Libri. Quelques conservateurs s’imaginent qu’ils sont responsables des distractions des experts dans ce procès, et par esprit de corps entravent tant qu’ils peuvent les explorations, sans s’apercevoir qu’ils condamnent de la sorte et très sévèrement l’œuvre de leurs amis. Vous ne vous figurez pas, monsieur, vous qui n’avez affaire qu’aux paisibles rédacteurs de la Revue, quelles passions on trouve parmi certains lettrés à qui le contact des gens du monde n’a pas appris le ridicule des grandes fureurs pour de petits sujets. Jadis Lucien, qui pourtant se disait philosophe, fut blâmé par un critique de son temps pour s’être servi du mot apophras. Qu’il soit bon grec ou non, je ne puis le dire ; vous pouvez le demander à Boissonade ou à M. Hase. Tant y a que Lucien répondit par un pamphlet qui s’est conservé, où, « par vives raisons, » il soutient qu’apophras est excellent, que de plus son critique est un infâme, qu’il a tué père et mère, et qu’il ne sait pas conjuguer tupto. Malgré l’adoucissement des mœurs, de nos jours, les colères des lettrés les emportent encore bien loin. Faites conter à M. Jubinal ce qui lui advint avec un conservateur de la Bibliothèque nationale, homme d’esprit et de savoir, à qui il demandait la permission de consulter un catalogue. D’abord refus poli ou plutôt défaites plus ou moins bien déguisées ; enfin, poussé dans ses derniers retranchemens, surpris auprès de ce catalogue, même qu’il prétendait ne pas avoir sous la main, « monsieur, dit ce conservateur à M. Jubinal, vous avez écrit quelque chose de favorable à M. Libri, et nous regardons tous ceux qui le défendent comme nos ennemis acharnés. Nous nous défendons comme nous pouvons ; voilà pourquoi je vous ai fait ce mensonge. » Sur quoi, l’avocat du conservatoire a imprimé que M. Jubinal aurait dû ne voir dans ce mot que l’expression d’un sentiment de loyauté.

Heureusement, monsieur, tous les conservateurs n’ont point ces passions sauvages, et l’on trouve à la Mazarine autant de loyauté, je dis de loyauté véritable, alliée à la plus parfaite obligeance. Aussi est-ce un plaisir d’y faire des recherches.

J’allongerais démesurément cette lettre s’il me fallait relever ici toutes les erreurs contenues dans la partie de l’acte d’accusation qui se rapporte aux prétendues soustractions de manuscrits et d’autographes.