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néglige-t-il pas ? Il néglige de se relire, et se réfute souvent lui-même, croyant alléguer une présomption nouvelle. Avez-vous lu votre mandement, monseigneur ? demandait un mauvais plaisant à un évêque. On serait tenté de faire pareille question au rédacteur de l’œuvre que je viens d’analyser. J’ai trop bonne opinion de la magistrature française pour douter un instant que, si l’accusé se fût présenté à l’audience, on eût osé livrer un tel amas d’erreurs à une discussion publique ; mais tout est bon contre un contumace. Quand on le noircirait bien fort, où est le mal ? Qu’il se justifie. Contumace, à vrai dire, voilà le seul grief un peu solide contre M. Libri. Cependant un grand jurisconsulte français a dit que, si on l’accusait d’avoir volé les tours de Notre-Dame, il commencerait par gagner le large. La Fontaine conseille semblable précaution. « Ce n’était pas un sot, non, non, et croyez-m’en, que le chien de Jean de Nivelle. » Malgré ces autorités imposantes, douter de la justice de son pays, pour beaucoup de gens du monde, c’est s’avouer coupable. Pour moi, je crois fermement que si M. Libri purgeait sa contumace, c’est ainsi, je crois, qu’on s’exprime au palais, l’opinion publique, je veux dire celle des oisifs de Paris, se prononcerait hautement en sa faveur. Je suis encore convaincu qu’en quelques heures de causerie avec le juge d’instruction M. Libri lui apprendrait plus de bibliographie qu’il n’en faut pour qu’il renonçât à toutes ses erreurs. Bref, les bonnes ames qui ont crié haro sur le voleur italien reviendraient bientôt sur son compte et ne lui sauraient pas mauvais gré d’avoir eu sa bibliothèque mise sens dessus dessous, d’avoir perdu ses places, et d’avoir été calomnié dans son honneur, car nous autres Français nous sommes vifs peut-être, mais ne gardons nullement rancune aux gens que nous avons offensés. J’ai dit tout cela et bien d’autres argumens à M. Libri pour l’engager à revenir, mais je vous avoue que je l’ai trouvé d’un entêtement extrême.

Comment persuader à un Italien qu’on lui a fait du mal involontairement, par distraction, par forme littéraire ? M. Libri voit partout des ennemis acharnés, de la passion et de l’injustice. Il ne peut croire que des érudits chargés d’une mission aussi grave qu’une enquête l’aient remplie sans y apporter de l’impartialité ou même de l’attention. D’ailleurs, les émigrés jugent toujours mal les choses de loin, et ne peuvent s’imaginer que depuis leur départ leur pays ait changé de face. Je parierais qu’il voit encore Paris plein de barricades et la rue de Valois jonchée de livres déchirés. — « Que je me livre à mes ennemis ! dit-il ; après ce qu’ils ont fait, je sais ce que je puis attendre d’eux. Que m’importe une réhabilitation de la part de gens qui ont prouvé leur ignorance ou leur mauvaise foi, lorsque, de toute l’Europe, les seuls juges dont l’opinion me soit précieuse me donnent des témoignages