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qu’elle en ait, malgré les charitables remontrances de sa femme, malgré les pleurs de Violet, malgré la colère de Peony. L’enfant de neige doit avoir froid, il faut qu’elle entre dans la maison, et qu’elle prenne place devant un beau poêle breveté, qui fait rayonner autour de lui vingt degrés de bonne chaleur. Hélas ! devant ce magnifique poêle, chef-d’œuvre de l’industrie, bourré d’anthracite incandescente, la petite demoiselle blanche, loin de se réchauffer, s’atténue, chancelle, s’affaisse ; mais, comme ce phénomène lui semble contraire aux lois de la nature, l’homme de bon sens n’y prête aucune attention. Son œuvre n’est pas achevée. Il s’est promis de retrouver les parens de la jeune étrangère et de sermonner la mère qui l’a laissée errer sans châle ni manteau. Il sort en effet, et, de peur qu’on ne trompe ses intentions charitables, il sort emportant la clé du salon, transformé en serre chaude. Quand il revient après force courses inutiles, on devine aisément qu’il ne retrouve plus trace de sa blanche protégée. Si cependant : il reste d’elle, en face de la gueule rouge et béante du splendide calorifère (système belge), une flaque d’eau étendue sur le parquet. Les enfans pleurent leur petite sœur aux mains glacées ; mistress Lindsey s’attriste de leur désespoir, qu’elle comprend, et de cet assassinat involontaire dont jamais elle n’eût été complice. Pour M. Lindsey, il est étonné, fort étonné ; mais il reste convaincu qu’il était dans son devoir de ne pas laisser au froid, exposée à s’enrhumer, une petite fille, fût-elle de neige. La morale de l’histoire est perdue pour lui ; qu’elle ne le soit point pour nous. Elle doit apprendre à tous les hommes, mais plus particulièrement aux hommes amis des hommes, qu’avant de céder à leurs impulsions philanthropiques, il faudrait s’assurer, s’assurer complètement, qu’ils comprennent à fond la nature des êtres dont ils poursuivent l’amélioration et leurs rapports de toute espèce avec l’ordre général des choses humaines ; car ce qui, en thèse générale, peut être regardé comme très bon et très salutaire, — la chaleur, par exemple, d’un excellent poêle breveté à Bruxelles, — peut, dans un cas particulier, ou ne servir à rien, ou se trouver fort nuisible, — s’il s’agit, comme dans la nouvelle de Hawthorne, d’un enfant de neige.


« Après tout, ajoute le conteur, il n’y a pas grande leçon à donner à des sages de l’école de M. Lindsey. Ils savent tout, — rien n’est plus certain, — non-seulement tout ce qui fut, mais tout ce qui peut, dans une hypothèse quelconque, advenir et se produire ; et dût quelque phénomène naturel, quelque mystérieux décret de la Providence contrarier, en se manifestant, leur glorieux système, eh bien ! ils en sont quittes pour ne le point admettre, même alors qu’il leur passe sous le nez…

« Femme, dit M. Lindsey après un accès de silence, voyez quelle quantité de neige les enfans ont apportée ici à la semelle de leurs souliers. En vérité,