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« — Est-ce que le cœur de ce cadet-là était en marbre ? cria Bertram, un peu intrigué par cette espèce de miracle. À tout le moins me paraît-il avoir brûlé en chaux de première qualité, et, tout compte fait, les os compris, mon four s’est enrichi d’un bon demi-boisseau, grace à cet homme.

« Parlant ainsi, le rude chaufournier leva sa perche et la laissa retomber lourdement sur le squelette ; les restes d’Ethan Brand s’éparpillèrent en impalpables débris. »


Ici, comme tout à l’heure, comme en vingt autres récits que nous pourrions prendre au hasard parmi ceux de Hawthorne, l’allégorie est flagrante. Elle est mieux déguisée dans ses deux romans de longue haleine, la Maison aux sept pignons et la Lettre rouge ; mais elle s’y trouve encore et s’inquiète fort peu d’être reconnue. Hawthorne n’est point, il s’en faut bien, acquis aux doctrines de l’art pour l’art ; — ce qui veut trop souvent dire l’art pour les artistes. Il moralise à visage découvert. — Comme il nous l’apprend lui-même, il est démocrate, et démocrate incorrigible. Une destitution même ne l’a point guéri. Aussi ne nous étonnons-nous guère de rencontrer, parmi ses récits, bon nombre de légendes locales qui se rapportent à l’histoire révolutionnaire du Massachusetts. Il y a dans les annales de la Nouvelle-Angleterre toute une galerie de portraits à la Rembrandt, graves puritains vêtus de noir, aux hautes fraises, aux feutres pointus à larges bords, qui exercent sur l’imagination du romancier une attraction irrésistible. Ce sont des illustrations purement locales que celles de ces gouverneurs élus, qui, sous le bon plaisir de sa majesté, britannique, travaillaient assidûment à maintenir et à étendre les droits et privilèges des municipes américains. On se croirait au milieu de ces bourgmestres flamands et hollandais, dont la résistance têtue lassait les bourreaux espagnols et gênait l’omnipotence de Louis XIV. Hawthorne aime ces vieux puritains, et leurs noms, ignorés chez nous, reviennent à chaque page dans ses récits. Il a même toute une série de légendes (Legends of the Province House), où il évoque, pour ainsi dire, un à un, ces ancêtres de la démocratie dans la Nouvelle-Angleterre, Endicott, Winthrope, Vane, Bellingham, Bradstreet. En face d’eux, il place toujours les agens ou les complices de la tyrannie anglaise, comme pour raviver l’exécration populaire à laquelle ils furent voués : — les Andros, les Bellamont, dignes prédécesseurs des Gage et des Howe. Parmi ceux-ci apparaît Edward Randolph, dont la mémoire abhorrée vit encore dans le Massachusetts ; Edward Randolph, qui but jusqu’à la lie la coupe amère de l’impopularité ; Edward Randolph, coupable d’avoir obtenu le rappel de la première charte, sous laquelle la province jouissait de privilèges à peu près démocratiques. Le nom, les descendans, la tombe, le portrait même de Randolph sont encore aujourd’hui poursuivis par l’anathème populaire. Affranchies du joug, les générations qui se succèdent