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esprit peu étendu, mais singulièrement ferme et juste, M. Guéroult, conseiller à vie de l’université impériale, dirigeait l’École, et la voulait inflexiblement classique ; sans distraction et même sans diversité d’études, par la seule méditation de l’antique et de l’excellent.

C’était là sans doute, en ce qui touche les lettres dont je m’occupe exclusivement ici, un plan d’études bien peu compliqué et un choix de maîtres bien restreint. Toutefois, par une sorte de privilège qui semble attaché aux premières années des créations heureuses, de celles qui manquaient, qu’on a long-temps attendues et dont la matière était prête, avant qu’on essayât de la régler, ces commencemens de l’École normale comptèrent bien des noms qui ne sont pas encore oubliés dans nos jours de renouvellement rapide, et ils ont formé quelques-uns des premiers écrivains de notre époque, de ceux dont le talent est aujourd’hui présent et incontesté. C’est à ce temps, en effet, qu’appartiennent quelques-uns des hommes qui firent tant d’honneur à cette université de France, si ébranlée maintenant. Quoique plusieurs des talens qui en sortirent alors ne soient plus, et que la mort ait cruellement moissonné sur la route, déjà longue, parcourue depuis la fondation de l’École, c’est de là que datent deux écrivains, dont les noms sont un des grands titres de la littérature du XIXe siècle, M. Cousin, créateur dans la philosophie par la passion et l’éloquence du langage, esprit actif et étendu, qui a relevé du même coup dans la science le spiritualisme et la méthode, l’enthousiasme du beau et l’érudition ; M. Augustin Thierry, créateur dans l’histoire moderne par la nouveauté des recherches et l’éclatante vérité du coloris ; peintre inimitable dans le récit épique, tel que le comportent les mœurs barbares du moyen-âge, seule poésie de notre histoire, et publiciste plein de sagacité inventive et de précision dans l’examen des institutions et des usages d’où sont laborieusement sortis les temps nouveaux de l’Europe. Là s’annonçait aussi le professeur d’un esprit si juste et si délicat, l’homme de goût éminent auquel notre littérature doit un de ses plus durables monumens sur l’antiquité classique, M. Patin, l’auteur de l’histoire du théâtre tragique des Grecs.

Ces noms seuls réunis sous la même date suffiraient pour illustrer une institution naissante ; mais tout auprès, dans le même mouvement d’études, se rencontraient des mérites faits pour honorer toute grande école, et dans ce nombre rappelons d’abord ceux qui n’achevèrent pas les espérances qu’ils donnaient, un jeune homme, M. Maignien, dont les premières pages ; en 1815, annonçaient le talent d’un publiciste, et ce jeune Charles Loyson, qui, sans autre secours que d’excellentes études de lettres et de philosophie, sortait à vingt-deux ans de l’École, poète touchant et pur, écrivain polémique assez redoutable pour embarrasser de ses premiers coups Benjamin Constant, et penseur assez