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s’exerça dans la séance à juger l’œuvre un peu artificielle d’un grand écrivain et l’effort quelquefois heureux d’un habile et noble rhéteur. Ce furent d’abord quelques pages du Dialogue d’Eucrate et de Sylla passées à l’épreuve d’une censure historique et verbale, sévère comme s’y plaît la jeunesse, puis l’analyse rapide et la critique incidente des meilleurs passages du Marc-Aurèle de Thomas, rapprochés de quelques grands traits de l’original antique. Ensuite on lut et on discuta sans pitié quelques Considérations écrites par un élève sur Fénelon et Vauvenargues. Deux heures se passèrent dans cette étude, où le principal auditeur jeta quelques mots justes et fins et quelques souvenirs d’un parfait à-propos, et où beaucoup d’élèves avaient pris part brièvement, avec cette liberté bienséante et cette promptitude d’esprit qui préparent le mieux les hommes à la vie ou du moins à la parole publique. À la fin de la séance, on était tenté de crier vive l’empereur, et on saluait avec grand respect son noble représentant ; car les cœurs des jeunes gens, surtout alors, étaient bien remplis, bien éblouis de la gloire de l’empereur, malgré le terrible impôt du sang dont cette gloire était déjà si chèrement payée, et on était loin de prévoir les funestes obscurcissemens qu’elle allait subir, et dont quelques mois à peine nous séparaient.

Cependant l’Université, en sa qualité d’œuvre nouvelle, étant dès-lors fort attaquée par des intérêts et des vues très différentes, et toutes les attaques, dans le silence du pouvoir absolu, devant aboutir à l’oreille du maître, cette visite inusitée, cette inspection d’un genre nouveau fut très remarquée et fit raisonner beaucoup. Le respectable conseiller à vie chef de l’École s’en inquiéta des premiers. Il craignait également deux choses : l’accusation de retour vers le passé, de tendance routinière, et l’accusation plus grave encore d’innovation imprudente, le reproche d’ultra-montanisme ou de philosophisme. De sa personne il avait aimé la philosophie du XVIIIe siècle et la révolution, comme un esprit modéré peut les aimer, bien entendu, sans scepticisme épicurien et sans approbation de la violence et de l’iniquité ; mais enfin il les avait aimées ; et il avait même écrit un petit livre élémentaire et savant, d’une exactitude assez hardie, sur le système régulier, les obligations légales et la courte durée des magistratures romaines. Tout cela sans doute se perdait dans son admiration bien connue pour l’empereur, qui était pour lui la révolution, la république, plus la gloire et le génie ; mais enfin il craignait que son zèle ne fût pas aussi bien jugé qu’il méritait de l’être, et qu’une opinion moins impériale et plus monarchique que la sienne, qu’il rencontrait parfois au grand-conseil de l’Université, ne se fît jour ailleurs et ne lui valût une mauvaise note en haut lieu. Un aide-de-camp de l’empereur, ancien émigré, grand seigneur de manières et de nom, l’inquiétait ; et il