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d’autre part, les études civiles, on ne les veut, on ne les cherche que pour des professions lucratives ou des places, pour être avocat, médecin ou auditeur au conseil d’état. Il me fallait donc créer de ma main une profession civile, désintéressée, grave, qui ne travaillât que pour les lettres et la science, du reste nullement exclusive, point fermée, ouverte au clergé en même temps qu’elle sert à exciter son zèle : c’est l’idéal de mon Université de France, et je puis dire d’outre-France. Voyez le beau rapport de Cuvier sur les écoles de Hollande ! Il n’est pas une institution dont je m’honore plus, et que je veuille davantage maintenir forte et durable : c’est pour cela que je l’ai dotée d’un impôt et d’une juridiction. J’ai bien entendu donner l’inamovibilité à ses membres comme à des magistrats. J’ai voulu surtout qu’elle fût fortement lettrée : j’aime les sciences mathématiques et physiques ; chacune d’elles, l’algèbre, la chimie, la botanique, est une belle application partielle de l’esprit humain : les lettres, c’est l’esprit humain lui-même ; l’étude des lettres, c’est l’éducation générale qui prépare à tout, l’éducation de l’ame. Aussi voyez comme, pour organiser mon Université, j’ai préféré Fontanes à Fourcroy, qui pourtant m’était aussi bien dévoué, et à qui cette disgrace a fait grand mal, je le crains ; mais, dans un chef d’empire, pas de faiblesse humaine : il y allait de l’avenir de la jeunesse et des traditions de l’esprit français. »

Puis, s’avançant vers son ingénieux interlocuteur, dont il croyait probablement saisir la pensée dans quelque regard échappé : « Les lettres, la science, le haut enseignement, savez-vous bien, mon cher Narbonne, que c’est là un des attributs de l’empire, et ce qui le distingue du despotisme militaire ? Ce sont là nos pouvoirs intermédiaires et dépendans, comme disait votre Montesquieu quand il voulait, dans son classement des états, faire une place de faveur à la monarchie française. Sans cela, sans l’égalité de gloire de ma Légion-d’Honneur pour toutes les primautés militaires ou civiles, je serais un despote. Voyez donc ! Jugez par là si je dois veiller sur ce feu que j’ai rallumé et qui est le feu sacré de l’empire. En pareille matière, il n’y a pas de petite faute, ni par conséquent de négligence permise.

« La plus grande faute qu’un homme pourrait faire, ce serait de vouloir gouverner, en dehors des lumières du temps, cette nation, la plus intelligente de la terre. Aussi j’ai deux ambitions : élever la France au plus haut degré de la puissance guerrière et de la conquête affermie, puis y développer, y exciter tous les travaux de la pensée sur unes échelle qu’on n’a pas vue depuis Louis XIV. C’était le but de mes prix décennaux qu’on m’a gâtés par de petites intrigues d’idéologues et des couronnemens ridicules, comme celui du catéchisme de Saint-Lambert ; mais, soyez-en sûr, le fond de la pensée était grand. Ce pays-ci ne peut pas plus se passer de raisonnement et d’esprit qu’il ne peut se